Le personnage de feste
Chez
Shakespeare, la figure du fou, ou du clown, est souvent présente
; qu’on songe au portier ivre dans Macbeth, au Fou dans Le Roi Lear, à
la folie feinte d’Hamlet
et
aux deux valets bouffons des Gentilshommes de Vérone.
Ce
personnage incarne le rapport ténu entre la sagesse et la folie. C’est
souvent lui qui détient la vérité qu’il fera surgir dans un flot de
paroles
insensées.
Pour accéder à cette vérité, il faut accepter de se déposséder de
soi. Cela renvoie au paradoxe développé par saint Paul dans les
Épîtres8 : ce qui est folie aux yeux
des hommes – la parole du fou – est en fait sagesse aux yeux
de Dieu : « Ce qui est dans le monde sans naissance et ce que l’on
méprise, voilà ce que Dieu a choisi. »9
b
Découvrir
le personnage du bouffon et le comparer à la tradition médiévale, en
lisant la
scène 1 de l’acte III .
Contrairement
à ce que suggère son nom (Feste signifie « la fête »), cette figure se fait le porte-
parole
du memento mori cher aux Humanistes.
Par
sa danse macabre et sous les apparences d’un fou, il est chargé de
dire en toute liberté la folie du monde. C’est bien cette qualité
première que
loue
Viola (III, 1). Cette perspicacité permet au bouffon de dépasser les facéties
habituelles pour gagner en subtilité et en virtuosité. « Ce corrupteur
de mots », selon l’expression de Viola, se joue à merveille des
raisonnements spécieux et nous apprend à nous défier des discours séduisants
et des leurres (« Rien n’est de ce qui est », IV, 1 et 8) ou par
Viola (« Je ne suis pas ce que je suis », III, 1).
Dans
La Nuit des rois,
Feste apparaît fréquemment sur scène. Il se fait le plus souvent le
commentateur
et l’observateur de cette comédie festive dont il garantit le
climat de liesse tout en se défiant des illusions.
Suivant
les traductions, ce personnage est désigné par différents termes : « bouffon »,
« fou » (du roi), ou « clown » (dans la traduction de Jean-Michel
Déprats)
La figure du fou, si souvent représentée dans le théâtre
de Shakespeare, est une transposition du bouffon traditionnel
chargé de divertir les princes au Moyen Âge. Il se distingue par la subtilité
des jeux auxquels il se livre, sa liberté d’expression et sa prédisposition,
inspiré par la nature. Son costume est codifié et on le reconnaît
dans les fêtes populaires à son habit
bariolé
de jaune et de vert, orné de grelots, coiffé d’un capuchon à oreilles d’âne ou
crête de coq. Il est armé d’une marotte, parfois obscène.
chansons de Feste:
La pièce joue sur une succession de genres musicaux
différents faisant alterner : une chanson savante, des bribes de
ballade, un canon. Chaque chanson de Feste donne une tonalité signifiante
à
la scène.
•
Acte
I, scène 1 : il s’agit vraisemblablement d’une chanson d’amour,
composée par un célèbre musicien de l’époque, Thomas Morley. elle reprend un motif traditionnel, celui de
l’amour courtois, en y associant le thème du carpe diem.
•
Acte
II, scène 3 : canon commandé par Sir Toby. Cette forme polyphonique,
adaptée d’une ballade larmoyante connue, se veut être la métaphore du
désaccord naissant entre les partisans de la fête perpétuelle, du
carnaval, et ceux d’une austérité puritaine qui trouvent une parfaite incarnation
à travers le personnage de Malvolio. Ce canon ou dialogue chanté, qui sonne
comme une
débauche musicale, s’inscrit dans la scène de réjouissances et représente le
glissement vers la folie
de Sir Andrew et Sir Toby.
•
Acte
II, scène 4 : parodie « d’une de ces vieilles chansons de toile
chantées par les filandières »19. Il s’agit d’une sorte de mise à distance des
sentiments amoureux d’Orsino ; Feste démasque ainsi l’enfermement
narcissique dans lequel se complaît le Duc.
•
Acte
IV, scène 2 : ballade empruntée à un manuscrit du xvie siècle qui, dans la scène de
la chambre
noire, permet à Feste de se faire reconnaître comme étant le clown par
Malvolio.
•
L’épilogue
chanté est
hautement significatif : « [il] offre un contrepoint mélancolique et sceptique
à
l’optimiste heureux du dénouement. [Cette chanson] rappelle les sept âges de
l’homme dans le style du constat lucide et désabusé déjà établi par
Jacques le mélancolique dans Comme il vous plaira. Les deux derniers vers de
la chanson sont à double sens : la comédie humaine se termine sur le théâtre du
monde,
ou la pièce La Nuit des
rois est
finie, à entendre comme il vous plaira ! »