samedi 8 octobre 2022

Approfondir la Nuit des Rois(3): le personnage du fou: Feste

Le personnage de feste
Chez Shakespeare, la figure du fou, ou du clown, est souvent présente ; qu’on songe au portier ivre dans Macbeth, au Fou dans Le Roi Lear, à la folie feinte d’Hamlet et aux deux valets bouffons des Gentilshommes de Vérone.
Ce personnage incarne le rapport ténu entre la sagesse et la folie. C’est souvent lui qui détient la vérité qu’il fera surgir dans un flot de paroles
insensées. Pour accéder à cette vérité, il faut accepter de se déposséder de soi. Cela renvoie au paradoxe développé par saint Paul dans les Épîtres8 : ce qui est folie aux yeux des hommes – la parole du fou – est en fait sagesse aux yeux de Dieu : « Ce qui est dans le monde sans naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que Dieu a choisi. »9
b Découvrir le personnage du bouffon et le comparer à la tradition médiévale, en lisant la scène 1 de l’acte III .
Contrairement à ce que suggère son nom (Feste signifie « la fête »), cette figure se fait le porte- parole du memento mori cher aux Humanistes.
Par sa danse macabre et sous les apparences d’un fou, il est chargé de dire en toute liberté la folie du monde. C’est bien cette qualité première que
loue Viola (III, 1). Cette perspicacité permet au bouffon de dépasser les facéties habituelles pour gagner en subtilité et en virtuosité. « Ce corrupteur de mots », selon l’expression de Viola, se joue à merveille des raisonnements spécieux et nous apprend à nous défier des discours séduisants et des leurres (« Rien n’est de ce qui est », IV, 1 et 8) ou par Viola (« Je ne suis pas ce que je suis », III, 1).
Dans La Nuit des rois, Feste apparaît fréquemment sur scène. Il se fait le plus souvent le commentateur et l’observateur de cette comédie festive dont il garantit le climat de liesse tout en se défiant des illusions.
Suivant les traductions, ce personnage est désigné par différents termes : « bouffon », « fou » (du roi), ou « clown » (dans la traduction de Jean-Michel Déprats)

La figure du fou, si souvent représentée dans le théâtre de Shakespeare, est une transposition du bouffon traditionnel chargé de divertir les princes au Moyen Âge. Il se distingue par la subtilité des jeux auxquels il se livre, sa liberté d’expression et sa prédisposition, inspiré par la nature. Son costume est codifié et on le reconnaît dans les fêtes populaires à son habit
bariolé de jaune et de vert, orné de grelots, coiffé d’un capuchon à oreilles d’âne ou crête de coq. Il est armé d’une marotte, parfois obscène.

chansons de Feste:

 

La pièce joue sur une succession de genres musicaux différents faisant alterner : une chanson savante, des bribes de ballade, un canon. Chaque chanson de Feste donne une tonalité signifiante à la scène.
Acte I, scène 1 : il s’agit vraisemblablement d’une chanson d’amour, composée par un célèbre musicien de l’époque, Thomas Morley. elle reprend un motif traditionnel, celui de l’amour courtois, en y associant le thème du carpe diem.

 
Acte II, scène 3 : canon commandé par Sir Toby. Cette forme polyphonique, adaptée d’une ballade larmoyante connue, se veut être la métaphore du désaccord naissant entre les partisans de la fête perpétuelle, du carnaval, et ceux d’une austérité puritaine qui trouvent une parfaite incarnation à travers le personnage de Malvolio. Ce canon ou dialogue chanté, qui sonne comme une débauche musicale, s’inscrit dans la scène de réjouissances et représente le glissement vers la folie de Sir Andrew et Sir Toby.

 
Acte II, scène 4 : parodie « d’une de ces vieilles chansons de toile chantées par les filandières »19. Il s’agit d’une sorte de mise à distance des sentiments amoureux d’Orsino ; Feste démasque ainsi l’enfermement narcissique dans lequel se complaît le Duc.

 
Acte IV, scène 2 : ballade empruntée à un manuscrit du xvie siècle qui, dans la scène de la chambre noire, permet à Feste de se faire reconnaître comme étant le clown par Malvolio.

 
L’épilogue chanté est hautement significatif : « [il] offre un contrepoint mélancolique et sceptique à l’optimiste heureux du dénouement. [Cette chanson] rappelle les sept âges de l’homme dans le style du constat lucide et désabusé déjà établi par Jacques le mélancolique dans Comme il vous plaira. Les deux derniers vers de la chanson sont à double sens : la comédie humaine se termine sur le théâtre du monde, ou la pièce La Nuit des rois est finie, à entendre comme il vous plaira ! »