vendredi 20 janvier 2023

Le Soulier de Satin: un hymne à la création

 

Hymne à la création

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Le monde – de Prague au Japon en passant par l’Espagne et l’Amérique –, les temps – celui des Conquistadors comme le monde contemporain de Claudel – et bien plus, la création tout entière est présente dans Le Soulier de satin.

 
Tel est le projet du dramaturge : composer une œuvre gigantesque, monstrueuse – au sens étymologique du mot –, qui puisse tenir tous les temps, tous les lieux, tous les êtres créés un jour par Dieu. La pièce se veut « hymne de louange » à cette création que Claudel sait belle et bonne, malgré tous les défauts et les horreurs que l’Homme y a semés par sa liberté.


« C’est avec son œuvre tout entière que nous prierons Dieu ! rien de ce qu’il a fait n’est vain, rien qui soit étranger à notre salut. C’est elle, sans en oublier aucune part, que nous élèverons dans nos mains connaissantes et humbles », pourrait dire Claudel avec le Vice-Roi (II, 5).


Projet fou qui explique la durée de la pièce, les intrigues secondaires, la multitude de personnages, les allers et venues à travers le monde et le temps, Le Soulier de satin est comme un miroir de la création présenté à Dieu en action de grâce.


Ainsi, tout à sa place, puisque « Rien de ce qu’il a fait n’est vain », et même ce qui va sembler le moins important, « un bout de corde qui pend », ou le moins développé, un père jésuite accroché à une croix, tient l’ensemble. « C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle » (I, 1).
Oui, même l’erreur du régisseur ou de l’acteur a sa place dans cette création : « S’ils se trompent, ça ne fait rien » (didascalie initiale) et, bien plus, même le péché, même le péché sert. « Etiam peccata » (même les péchés), inscrit Claudel en exergue de la pièce, citant saint Augustin. Paradoxe quand il est question du salut ! Scandale même ! Comment comprendre ?
C’est pourtant la fine pointe de la pièce qui reprend l’enseignement du mystère de Pâques : « Bienheureuse faute d’Adam qui nous a valu un tel Rédempteur ! » Sans faute d’Adam au jardin d’Éden, nul besoin du Christ incarné, puis mort par amour sur une croix. De même, sans désir effréné de Prouhèze pour Rodrigue, rien à sacrifier pour grandir, nul Ciel ouvert pour « les âmes captives ».
« Rien qui soit étranger à notre salut », dit le Vice-Roi, car c’est bien de cela qu’il s’agit. 

Personne ne gagne son salut seul. C’est l’humanité tout entière qui est mise en branle par le sacrifice d’une seule, depuis le personnage le plus humble et secondaire jusqu’à Rodrigue ou le roi d’Espagne. Dans ce mouvement perpétuel, tous les temps, tous les Hommes, tous leurs actes, bons et mauvais, trouvent un sens. Même le péché sert. Toute la création est là. La représentation de la pièce à Avignon l’illustre mieux qu’aucune autre.