Se rafraichir la mémoire sur le site de Théâtre Contemporain
la première version avait été jouée au Festival d'Avignon en plusieurs épisodes et on y voit Gaspard Raymond ( ancienne jeune troupe) que vous connaissez tous.
Le site théâtre contemporain propose dans les documents numérisés un entretien avec Olivier Py.
NOTE D’INTENTION d'Olivier Py
Hamlet à l’impératif ! est une aventure née de deux désirs.
Le premier est d’investir l’espace du jardin Ceccano qui chaque année propose aux spectateurs
du Festival de venir à midi, pour une heure et gratuitement, écouter des acteurs et des amateurs
jouer un grand poème du répertoire. Après la République de Platon d’Alain Badiou qui avait initié
l’aventure, et après Le Ciel, la Nuit et la Pierre glorieuse porté par la Piccola Familia, On aura tout
conçu par Christiane Taubira et Anne-Laure Liégeois, Mesdames, messieurs et le reste du monde
de David Bobée, L’Odyssée monté par Blandine Savetier, c’est Hamlet qui sera le fil rouge de ce
feuilleton philosophique et populaire.
Le second désir est d’aborder le continent Hamlet, dans une lecture radicalement nouvelle.
La pièce la plus connue du dramaturge le plus connu reste une énigme. Chaque nouvelle mise en
scène est un événement, ou toujours le même avènement : l’exégèse infinie d’une pièce de
Shakespeare qui a conditionné l’imaginaire européen puis a conquis le monde.
Les thématiques issues de l’oeuvre sont innombrables : le théâtre, la mort, la révolution, la tyrannie,
les mots, le désir etc… si bien que dès le dix-septième siècle un discours d’escorte devenu
océanique a accompagné le chef d’oeuvre. Chaque siècle a son Hamlet et le siècle dernier l’a placé
au centre de sa catastrophe, comme une prophétie, une dystopie terrifiante.
Presque tous les grands penseurs et artistes des trois siècles derniers ont dialogué avec Hamlet
et la quasi-totalité des sciences humaines s’en est emparé. La philosophie, la psychanalyse, la
linguistique, l’histoire, la politique, le droit, ont pris Hamlet comme pierre d’achoppement de leurs
idées.
Ainsi il ne s’agit pas seulement de présenter Hamlet, mais un Meta-Hamlet, Hamlet et ses
commentateurs, Hamlet et ses conséquences. Bien que nous travaillions à partir d’une toute
nouvelle traduction, qui rend grâce aux différentes versions des différents manuscrits et au travail
titanesques des chercheurs, il s’agit aussi de présenter des textes clefs qui ont travaillé Hamlet. Et
au-delà de tout cela, une libre dispute sur les énigmes innombrables du texte.
On comprend pourquoi ce projet est un Hamlet de dix heures au moins. Le texte, publié chez Actes
Sud, a la forme d’une libre discussion entre les personnages à propos des thèmes centraux de la
pièce. Un commentaire des commentaires et une mise en résonnance avec les questions
contemporaines.
Voici quels sont les dix épisodes de cette charade sans fin.
Mon premier est consacré à la plus célèbre réplique de l’histoire du théâtre « to be or not to be ».
Interviennent Heidegger, Hegel, Nietzsche et tant d’autres pour interpréter la célèbre sentence. De
plus, un coup de théâtre : la découverte d’une autre version de la réplique dans un manuscrit plus
ancien qui vient chambouler l’histoire de la philosophie … rien de moins.
Mon deuxième est dévolu à la question de l’impératif moral et à la figure du spectre qui vient le
représenter. Le texte de Derrida « Spectres de Marx » y est incontournable. C’est celui qui donne
titre à notre feuilleton « Hamlet à l’impératif ». Impératif catégorique, qui résonne très fortement
dans notre temps de désenchantement politique. C’est Wittgenstein qui en est le passeur avec sa
conférence sur l’éthique, en référence directe au prince d’Elseneur.
Mon troisième est sous le signe du temps et de l’Histoire, d’un temps hors de ses gonds selon
l’éblouissante traduction de Yves Bonnefoy reprise par Derrida, puis Deleuze et Jankélévitch.
« L’histoire est-elle morte ? » semble nous demander Hamlet dans une interrogation très
contemporaine.
Mon quatrième est un exercice réflexif où le théâtre parle du théâtre. Là aussi tout le monde y est
allé de son interprétation sur l’efficacité politique ou l’inefficacité patente du théâtre. Peut-être estce
aussi un échec qui réussit, ou un combat perdu qui triomphe.
Mon cinquième est contenu dans la réplique pourtant simple « words words words » véritable coup
de tonnerre de la modernité. Ce doute métaphysique sur la puissance du langage a été
immensément commenté, et notamment par de Saussure, Wittgenstein, Lacan et leurs
interlocuteurs.
Mon sixième est sous le signe de la procrastination. Pourquoi Hamlet remet il au lendemain l’action
de tuer le Roi ? Et nous ferons le tour des 50 hypothèses de réponse, de Goethe à Freud tout le
monde a eu son idée sur cette paralysie de l’action politique.
Mon septième est plus directement lié à la psychanalyse, les rapports d’Hamlet et de Gertrude
étant à l’origine de la science Freudienne. Plus tard, Lacan ne s’est pas privé d’y ajouter son
commentaire et nous pouvons considérer que le complexe d’OEdipe a été inventé pour comprendre
Hamlet.
Mon huitième est visuel et s’attache à la représentation d’Ophélie. Du tableau de Millais au poème
de jeunesse de Rimbaud, ce personnage tragique, victime absolue a formaté une certaine idée
des femmes. C’est donc avec des outils féministes qu’il faut déconstruire le mythe d’Ophélie.
Mon neuvième est un crâne, un crâne de bouffon exhumé, et qui médite sur la caducité. Cet
accessoire indispensable de tout Hamlet mérite à lui seul son chapitre. Mais quel est l’eschatologie
de Shakespeare ? Sa pensée de la mort est-elle stoïcienne ? septique ? lucrécienne ?
Mon dixième et dernier chapitre est celui d’Horatio, double narrateur et biographe, et c’est la
question du récit lui-même, possible ou impossible qui y est débattu. Surtout à une époque de
multiplication des points de vue et de surmédiatisation, pouvons-nous raconter une histoire
collective ?
Évidemment chaque chapitre est illustré de scènes d’Hamlet, de confrontation de traductions et de
questionnements de jeu.
Voilà donc pour l’immense chantier d’Hamlet, Shakespeare et les autres. Il faudra y ajouter un
onzième, qui est la pièce elle-même dans une version fulgurante, reprenant certains de ces
commentaires et sous l‘injonction d’une traduction radicale.
Ce Hamlet resserré en une heure pourra être joué indépendamment, et de manière très légère.
Quatre acteurs et un musicien le prennent en charge et le présentent dans une totale économie
spectaculaire. C’est à la fois l’amande, le miel et le sel de notre Hamlet à l’impératif.
Mais si l’on devait résumer la pièce à une seule question, quelle serait cette question ?
Non pas « être ou ne pas être » qui n’est peut-être qu’une digression philosophique au coeur d’un
ensemble tragique, mais bien plutôt « que dois-je faire ? ». La question éthique a été dépliée sans
fin chez les adorateurs de ce texte sans égal. Hamlet n’a aucun équivalent, son destin littéraire et
intellectuel à travers les époques et les disciplines est unique. Il est devenu le cinquième évangile
laïque de l’occident. Quel Hamlet demain guidera les temps difficiles ?
Olivier Py, octobre 2020
Vous vous avez vu la version raccourcie en salle.