dimanche 31 décembre 2023

Bonne année à toutes et à tous

 

2023 va disparaître, année douloureuse à bien des égards quand on observe la marche du monde, à plus d’un titre marche vers l’abîme, mais je n’en garderai pour l’heure que les joies et bonheurs qui tissent la trame de nos vies privilégiées, les rencontres nouvelles, les amitiés, la persévérance dans son être de l’amour,  les paysages parcourus, juste pour se réaccorder, à grandes respirations, les créations partagées, l’intensité que donne à la vie la pratique du théâtre et l’espoir de la transmission, les petits gestes qui font plaisirs, la plongée dans la littérature quand la lecture nous retire aux angoisses du temps ou nous permet de les affronter.

2024 appartient à celles et ceux qui croient encore au jour. Je joue délibérément avec le très beau titre du roman d’Emma Doude van Trootswijk qui a illuminé pour moi cette fin d’année : Ceux qui appartiennent au jour. Le texte publié aux éditions de Minuit- comme ceux de Marguerite Duras et c’est tellement incroyable et émouvant- sort en librairie la semaine prochaine et vous l’aimerez, j’en suis sûre. Je n’en dis pas plus. J’ai eu la chance d’avoir Emma comme élève entre 2015 et 2017.

Oui, il faut plus que jamais croire au jour, guetter les étincelles et les lueurs, protéger les lucioles, trouver la juste lumière qui donne son relief au quotidien.

Croire très radicalement à la puissance de la douceur et cultiver notre sens de l’hospitalité, à rebours des injonctions mortifères  du moment, parce que c’est clairement de l’Autre, de l’espace fait à son accueil que peut naître une vie plus intense, plus colorée, plus jouissive, plus ravissante.

Très belle année 2024 à toutes et à tous.

mercredi 20 décembre 2023

Qui est Frank Zappa né un 20 décembre?

 Emission sur FranK Zappa

J'en avais parlé en cours à propos des phénomènes de leadership des rockstars en rapport avec Richard III.

mercredi 13 décembre 2023

Pour nourrir la réflexion sur Théâtre et Démocratie ( Projet avec Mme Rech Rosin si vous souhaitez l'aborder sous cet angle.)

Théâtre et démocratie 

Brève histoire des lieux du théâtre sur l'inscription des lieux théâtraux dans l'espace publique.

Le théâtre peut-il ( et doit-il être politique?)

Le Théâtre de la cruauté d'Antonin Artaud ( allusion faite en cours)

 

Le théâtre de la cruauté est une expression introduite par Antonin Artaud pour désigner la forme dramatique selon sa conception et sa quête. Elle a nourri bien des artistes du XXème siècle et aujourd'hui encore.

en savoir plus 

le théâtre de la cruauté :

nouvelle théorie dans laquelle on prône la cruauté, c’est- à-dire la vie. Car le mot cruauté ne renvoie pas essentiellement à ses sens actuels de souffrance, de froideur extrême, de plaisir morbide ; il s’enrichit de son sens étymologique : issue du substantif latin cruor, qui désigne le sang qui coule, la cruauté évoque autant cette violence et cette convulsivité de la chair que l’atrocité homicide sanglante et épouvantable

La représentation de la violence au théâtre :

la violence au théâtre n’était pas représentée dans le théâtre antique ou dans les tragédies pour un combat par exemple

Le théâtre de la cruauté est une expression introduite par Antonin Artaud pour désigner la forme dramatique à laquelle il travailla dans son essai Le Théâtre et son double. Derrière « cruauté » il faut entendre « souffrance d'exister ». L'acteur doit brûler sur les planches comme un supplicié sur son bûcher. Selon Artaud, le théâtre doit retrouver sa dimension sacrée, métaphysique et porter le spectateur jusqu'à la transe. 

Le Théâtre de la cruauté est un « théâtre qui nous réveille : nerfs et cœur ». Cependant, cette cruauté n’est pas celle du sang et de la barbarie :

« il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres (…) mais (…) celle beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer contre nous. Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut encore nous tomber sur la tête. Et le théâtre est fait pour nous apprendre d’abord cela »

Avec ce concept, Artaud propose « un théâtre où des images physiques violentes broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur ». A la vue de cette violence naît la « violence de la pensée »11 chez le spectateur, violence désintéressée qui joue un rôle semblable à la catharsis.

Dans le chapitre « Le théâtre de la cruauté », Artaud dresse un portrait du spectacle qu’il souhaite atteindre :

« Tout spectacle contiendra un élément physique et objectif, sensible à tous. Cris, plaintes, apparitions, surprises, coups de théâtre de toutes sortes, beauté magique des costumes pris à certains modèles rituels, resplendissements de la lumière, beauté incantatoire des voix, charme de l’harmonie, notes rares de la musique, couleurs des objets, rythme physique des mouvements dont le crescendo et le decrescendo épousera la pulsation de mouvements familiers à tous, apparitions concrètes d’objets neufs et surprenants, masques, mannequins de plusieurs mètres, changements brusques de la lumière, action physique de la lumière qui éveille le chaud et le froid, etc"

Le premier et unique spectacle de la cruauté est la tragédie Les Cenci (tragédie en quatre actes et dix tableaux d'après Shelley et Stendhal). La représentation eut lieu le 6 mai 1935 au Théâtre des Folies-Wagram. Artaud avoue que cette pièce n'appartient pas véritablement au théâtre de la cruauté mais l'annonce et le prépare. La pièce est basée sur « le mouvement de gravitation ». Artaud écrivait dans la Bête noire no 2 du 1er mai 1935 : « Par Les Cenci, il me semble que le théâtre est remis à son plan et qu'il retrouve cette dignité presque humaine sans laquelle il n'est pas utile de déranger le spectateur. »

Analyse d'un spectacle : pistes à explorer mais on ne peut jamais tout dire.

I. La représentation, le metteur en scène, l’auteur
(Questions à aborder en amont de la représentation)
• Quel est le titre de la représentation, le nom du metteur en scène, de la compagnie ?
• Quel est le titre de l'oeuvre initiale, le nom de (ou des) auteurs ?
• Quelles sont les caractéristiques du texte dans cette mise en scène : oeuvre initiale, traduction, adaptation,réécriture, création, commande ?
• A l'intérieur de quelle institution ou de quel lieu se situe cette mise en scène (son identité, le statut de
l’institution théâtrale qui accueille la représentation) ?
• Quand la représentation se déroule-t-elle (dans le cadre d’un festival, d’une programmation de saison…) ?


II. Les spectateurs
(Questions appelant à des commentaires immédiats sur le lieu du spectacle)
1. L’arrivée au théâtre
• l’architecture extérieure du bâtiment
• l’accès à la salle
• l’accueil
• l’atmosphère
• le public
2. En sortant de l’espace théâtral
• Qu’attendiez-vous de ce spectacle par rapport au texte, à l’auteur, au metteur en scène, à la distribution des acteurs?
• Quelles ont été les réactions des spectateurs ? (images qui interpellent, rapport entre la première et la dernière image)
• Manifestations diverses : « cris, vociférations, pâmoisons, silences »…


III. Analyse de la représentation
A. La scénographie
L’espace
- L’espace théâtral
• Les spectateurs sont-ils placés en frontal, bi-frontal, tri-frontal, circulaire, ou autre disposition, ou bien sont-ils itinérants ?
• Quel est le rapport entre l'espace du public et l'espace du jeu (rideau, fosse, rampe, proximité) ?


- L'espace scénique
Ses caractéristiques :
• Ses caractéristiques : sol, plafond, murs, formes, matières, couleurs, etc.
• Sa structure : circulaire, rectangulaire, carrée, etc ?
Ses transformations
• Est-il unique ou évolutif ?
• A quoi correspondent ses transformations ?
- Les choix esthétiques
• L'espace est-il encombré, vide, minimaliste ?
• Comment caractériser cet espace choisi par la mise en scène ?
* Est-ce un espace réaliste (qui imite le monde qu’il dépeint dans un milieu économique, héréditaire, historique et qui crée l’illusion théâtrale) ?
* Est-ce un espace symboliste (qui dématérialise le lieu, le stylise en un univers subjectif et onirique) ?
* Est-ce un espace théâtralisé (qui souligne les conventions de jeu et les artifices) ?
* Est-ce un espace expressionniste (qui projette violemment sur le monde la subjectivité des personnages ; jeu ostentatoire dans une esthétique de l’image et de l’espace)
• Que représente cet espace (espace réel ou espace mental) ?


Le dispositif scénique (agencement des aires de jeu et du décor)
• Quels sont les éléments qui le composent ?
• En quoi donne-t-il matière à jouer ?


L’espace dramatique
• Comment est construit et évoqué l'espace dramatique (espace de la fiction construit par le spectateur)?
Les objets scéniques
• Quelles sont leurs caractéristiques et leurs qualités plastiques (nature, formes, couleurs, matières)
• À quoi servent-ils ?
• Ont-ils un usage fonctionnel (référentiel ou mimétique) ou détourné ?
• Quels sont leurs rôles : métonymique, métaphorique ou symbolique ?
La lumière
• A quel moment intervient-elle ?
• Quel est son rôle : éclairer ou commenter une action, isoler un acteur ou un élément de la scène, délimiter un espace scénique, créer une atmosphère, rythmer la représentation, assurer la transition entre différents moments, coordonner les autres éléments matériels de la représentation ?
• La lumière a-t-elle une fonction symbolique (variations de lumière : noirs, ombres, couleurs particulières)… ?


L’environnement sonore
(Musique, composition sonore, vocale, instrumentale ou bruitée)
(Tout événement sonore, vocal, instrumental, bruité)
• Comment et où les sources musicales sont-elles produites (en direct par des acteurs musiciens ou enregistrées et introduites par la régie technique) ?
• Quelle est la place des musiciens par rapport aux acteurs et aux spectateurs ?
• Quels sont les instruments ?
• Quel son rôle : créer, illustrer, caractériser une atmosphère correspondant à la situation dramatique, faire reconnaître une situation par un bruitage, souligner un moment de jeu, ponctuer la mise en scène (pause de jeu, transition, changement de dispositif scénique)
• Quelles sont ses conséquences sur la représentation ?


L’image, la vidéo
• Type et support de projection (cyclo, paroi, objet, corps)
• L’image est-elle prise en direct ou préalablement enregistrée ?
• Sa présence est-elle continue, ponctuelle ?
• Est-elle illustrative, référentielle, symbolique ?
• Quel est l’effet produit par l’image-vidéo : changement d’échelle, focalisation, gros plan, mise en abyme, documentaire, distanciation…
Les médias
• Comment les médias contribuent-ils à la construction de la mise en scène ?
• Les médias sont-ils identifiables, visibles ou montrés, ou sont-ils au contraire dissimulés à la vue du public ?
• Les médias sont-ils produits en direct ou bien ont-ils été préparés à l’avance pour être insérés dans la
représentation théâtrale ?
• Quel est le rapport des médias entre eux ? (Sont-ils séparés ou glisse-t-on de l’un à l’autre ?)
• Quelle est la proportion entre les médias-audiovisuels et la performance ou le jeu de l’acteur ?
• La présence d’un acteur (visible ou non) est-elle nécessaire pour éviter que la représentation ne devienne une installation ?
• Quels effets esthétiques et dramaturgiques les médias ont-ils sur la mise en scène et sur la perception du spectateur ?
• Comment les nouveaux médias audio-visuels nous mènent-ils à une perception renouvelée, à un retournement du regard ? En quoi nous obligent-ils à repenser et à « re-sentir » nos impressions théâtrales habituelles ?


Les costumes
(vêtements, masques, maquillages, perruques, postiches, bijoux, accessoires)
• Quels sont les choix esthétiques (couleurs, formes, coupes, matières)
• Quelles sont les fonctions du costume ?
*Est-ce la caractérisation d’un milieu social, d’une époque, d’un style ?
* Est-ce un repérage dramaturgique pour les circonstances de l’action ?
• S'agit-il d'un costume de personnage (inscrit à l'intérieur de la fiction pour servir l'intrigue et les relations entre les personnages) ou s'agit-il du costume d'un performer, danseur / acteur (inscrit dans les choix esthétiques de la mise en scène ou lié à une tradition de jeu) ?
• maquillage, accessoires ou postiches nudité : que montre, que cache le corps nu ?


B. La performance de l'acteur
• Le jeu corporel ou la corporalité de l’acteur.
• L’acteur est au centre de la mise en scène et au coeur de l’évènement théâtral mais c’est une composante difficile à saisir.
• Il est le lien vivant entre le texte, les directions du metteur en scène et l’écoute du spectateur.
Ses composantes
Les indices de sa présence, son rapport au rôle (incarnation d’un ou de plusieurs personnages ou esquisse d’un personnage ?), la diction, la lecture de ses émotions, l'acteur dans la mise en scène, dans une proposition de jeu chorale ou chorégraphique.


Description physique
• Son apparence physique (de quel corps dispose-t-il avant d’accueillir le rôle ?)
• Ses costumes : cet élément (et ses composants) peut-être traité comme une instance scénographique mais aussi comme une instance de jeu.
• Ses gestes (un faire et un dire) et leurs fonctions : référentielle, conative, phatique, émotive, poétique, métalinguistique.
• Ses mimiques, postures et attitudes.
Rapport de l'acteur et du groupe
• les acteurs occupent-ils l'espace scénique au moment où les spectateurs entrent dans l'espace théâtral ?
• entrée, sortie, occupation de l'espace
• démarches, déplacements, trajectoires
• jeu statique ou dynamique dans l’espace scénique
• communications non verbales (contacts physiques, jeux de regards)
• oppositions ou ressemblances entre les personnages
Rapport texte et voix
• diction (hauteur, timbre, intensité, volume)
• rythme
• variations (accentuation, mise en relief, effacement, silence)
Rapport texte et représentation
• Comment fonctionne le couple texte et représentation ?
• Quel est le statut du texte dans la représentation ?


IV. Point de vue sur la mise en scène
Quel est le parti-pris esthétique ?
• réaliste
• théâtralisé (« L’essai de susciter sur une scène qui se donne pour telle, un jeu multiple dans lequel l’auteur, employant des procédés traditionnels ou réinventés, fait appel chez le spectateur au goût et à l’instinct du jeu. »Bernard Dort)
• stylisé (« La stylisation se situe entre l’imitation et la symbolisation abstraite. » Meyerhold)
• symbolique (« L’essai de constituer sur la scène un univers qui emprunte quelques éléments à la réalité apparente mais qui par l’entremise de l’acteur renvoie le spectateur à une réalité autre que celui-ci doit découvrir. » Bernard Dort)
Le plus important : Quels sont les partis-pris dramaturgiques : quelle fable est racontée par la mise en scène et quel est le discours (le propos) du metteur en scène sur l'homme et sur le monde ?

La Fin de Richard chez Ostermeier et Jolly

 

La scène de la bataille

Visionnez  la scène de bataille, dont l’issue est censée être la conséquence de la scène des malédictions. Quelles émotions procurent au public chacune des deux morts de Richard ? Il faut que vous regardiez seuls la bataille chez Jolly.

À la fin de cette scène, Lars Eidinger est seul en scène et combat des ennemis fantômes – réellement absents cette fois – comme s’il se combattait lui-même. L’image finale est celle d’un dénuement pathétique.

Thomas Jolly fait exister la bataille entre Richmond et Richard avec des effets assez similaires à ceux de la scène des spectres (obscurité, rapidité, montage accéléré). Son Richard meurt égorgé par Richmond, ce qui provoque un soulagement général.

L’image finale : un tableau ?

 Rembrandt dans Le Bœuf écorché (1655) ?

Y a-t-il un autre moment de la pièce qui évoque ce thème pictural ?

L’image finale du spectacle se révèle tout à fait saisissante et pathétique. Richard, après avoir combattu des ombres – donc lui-même – se retrouve pendu par son pied valide… à son micro-caméra, à savoir son arme absolue, sa puissance personnelle, là où son langage et ses confidences séduisaient tour à tour les personnages qui l’entouraient et le public.

Image saisissante d’une humanité réduite à un corps disloqué, côtes cisaillant le buste, lumière blanche et crue dans un silence absolu, la batterie muette tandis que le corps quasi nu du roi Richard tournoie lentement sur lui-même, son pied malade pendant dans le vide, écartant ses jambes tel… ce Bœuf écorché de Rembrandt (1655). En effet, on assiste dans les deux cas à la défaite d’une forme de puissance – le bœuf étant un animal massif et musculeux, peu aisé à soumettre ; Richard s’étant toujours battu avec sa puissante rhétorique fielleuse. La même teinte sombre, le même silence, le même écartèlement du corps, la même âpreté sanglante entourent les deux images.

À ne s’y pas tromper, il s’agit à chaque fois d’une vanité, cette image de la précarité de l’existence, dont l’on rencontre beaucoup d’exemples au cours des XVIe et XVIIe siècles. Ostermeier semble réanimer ce thème pictural fort répandu et mélancolique, d’autant qu’une autre scène prépare celle de la pendaison finale : celle où Lars Eidinger se construit un masque de crème. Cette scène initiale fonctionne déjà comme une vanité : Richard, devenant de plus en plus sanguinaire, se couvre le visage de la crème fraîche qui se trouvait dans son assiette ( repas préféré d'Hitler) jusqu’à disparaître complètement. Il semble ne plus pouvoir se regarder sans la médiation du masque, il fuit son propre visage, sa propre identité et se transforme alors en monstre. En effet, la crème ne cessera de sécher, de former des abcès ou des verrues, de se répandre (Richard en laisse des traces sur Élisabeth après l’avoir embrassée : elle porte symboliquement la marque du traître) ou bien de se fragmenter et de tomber, morceau par morceau.


 La caméra permettant de faire des gros plans, le public de la captation assiste à la métamorphose de ce visage devenu monstrueux et repoussant, qui palpite sous les tressautements des lèvres de Richard, comme si ce visage devenu organique se mouvait de façon autonome. La nourriture sert toujours à représenter la vanité et le temps qui passe : ici la crème et le recours à l’assiette, métamorphosée en miroir, accentuent la mise en scène de ce qui est peut-être la vraie et terrible identité de Richard, un visage figé (déjà le masque de la mort ?) puis en décomposition, véritable memento mori théâtral et moderne.

Rappelons que l’univers scénique de cette mise en scène, nimbé de noir et blanc, mystérieux et insituable, porte l’influence du photographe américain, Joel-Peter Witkin, qui signe une magnifique et terrible nature morte, constituée d’une tête humaine comme décapitée, entourée de fleurs, de légumes et de fruits, qui n’est pas sans rappeler la putrescible crème ornant uniquement la tête de Richard, devant son plat de pommes de terre : vanité théâtrale répondant en écho à la vanité photographique de 1992.


 Plus le tableau et la photo de Francis Bacon que je cherchais en cours.



Richard III une pièce qui nous montre les coulisses de la politique

 Dans la forme que nous créons avec Serge nous insistons beaucoup sur l'acte III et la manipulation politique à l'oeuvre: Il faudra être capable d'expliquer lors de l'entretien à l'oral.

Richard III offre au public la perspective des coulisse. L’idée se rattache à une analyse sur le pouvoir comme effet de spectacle, et sur la représentation des grands comme des hommes faibles et finalement sans mystère, mais la perspective des coulisses est dramaturgiquement très concrète dans Richard III ; le moment le plus éclatant de ce point de vue est la séquence des scènes 4 à 7 de l’acte III, qui correspond au coup d’État de Richard. Cette séquence fait se succéder le conseil de gouvernement, entièrement truqué et à l’occasion duquel il piège Hastings (III, 4), le conciliabule de Richard et Buckingham qui se proposent de « contrefaire le grave tragédien » et de feindre la terreur pour tromper leurs ennemis et apparaître comme des victimes (« counterfeit the deep tragedian », III, 5, v. 5), la tentative pour obtenir l’adhésion des citoyens à Guildhall par des calomnies sur le défunt roi (tentative qui fait l’objet d’un récit de Buckingham en III, 7) et, pour achever la prise de pouvoir, la mise en scène de Baynard’s Castle où Richard, depuis la galerie et devant le maire, feint la dévotion la plus pure et le refus de la couronne (III, 7).

Cette séquence est un moment essentiel dans la conquête de la couronne par Richard. Il élimine un adversaire de poids : Hastings, qui s’oppose à son couronnement ; il le condamne sans procès et s’arroge donc le pouvoir de juger, fonction régalienne par excellence ; à la faveur de cette condamnation, il demande aux grands de choisir et il obtient leur soutien – il est vrai, au moins autant par la force que par la ruse puisque tout ceci se déroule en présence de gardes dont le pouvoir d’action est manifeste puisqu’ils viennent d’arrêter Hastings.

Shakespeare double constamment la scène – qui est donc celle de l’histoire – par les préparatifs de Richard et Buckingham, par les apartés qui font fonctionner le piège, par l’explicitation de leurs stratagèmes, et par la préparation dramatique et physique des deux protagonistes comme des comédiens, moment finalement assez comique et burlesque introduit par la didascalie : « Enter Richard and Buckingham, in rotten armour, marvellous ill-favoured » (III, 5 ; « Entrent Richard et Buckingham, en armure rouillée, l’air prodigieusement piteux »). Par ailleurs, le lexique du théâtre, dans des usages plus ou moins figurés, revient sans cesse (tragédien, jouer, réplique, rôle, etc.).

 Les spectateurs se trouvent donc bien simultanément face à la scène des événements et dans les coulisses du théâtre de Richard, autrement dit dans les coulisses du pouvoir. Un tel dispositif apparente la pièce historique à un dévoilement : le public peut voir ce qu’il y a derrière les apparences des rituels et des spectacles politiques. Il y a là un autre aspect de ce que l’on peut appeler la « politique tragique » de la pièce : proposer une histoire parallèle.

La pièce nourrit la fascination pour le pouvoir, en particulier par le truchement de ce personnage flamboyant et séducteur qu’est le duc de Gloucester. Mais elle tend simultanément à construire une distance critique vis-à-vis du pouvoir et, partant, de l’histoire. Deux éléments, parmi d’autres, vont dans ce sens. Le premier est une remise en cause implicite du savoir-faire politique de Richard. On le sait, on peut voir en Richard une incarnation du prince machiavélien qui use de la ruse et de la force (Kott 1962, entre autres). Mais il est loin d’être un prince machiavélien parfait et il était bien présomptueux de dire dans la troisième partie d’Henry VI, à la fin du long monologue qui le lance à la conquête du pouvoir : « I can […] set the murderous Machiavel to school » (III, 2). En effet, le piège tendu à Hastings est grossier et ne fonctionne vraiment qu’à la faveur de la faiblesse des grands ; en outre, Richard ne fait guère illusion, sinon auprès du Maire, puisque les citoyens refusent de l’acclamer ; surtout, il ne sait pas garder le pouvoir, ce qui est la pierre de touche du prince accompli pour le penseur florentin.

D’où le deuxième élément qui participe de la vision critique portée par la tragédie de Shakespeare : la pièce suggère que le pouvoir, ou la maîtrise de celui-ci est une illusion. À l’illusion sur soi du personnage tragique, s’ajoute l’illusion sur l’objet convoité par le protagoniste. Car la couronne ne suffit pas à son contentement, notamment parce qu’il a investi la conquête du pouvoir d’un enjeu narcissique, le trône devant fonctionner comme substitut de l’amour dont il est privé (3H6, III, 2). Richard en effet ne détient pas vraiment le pouvoir et il le dit lui-même à Buckingham, à la scène 2 de acte IV : « I say I would be king » (IV, 2, v. 12 ; « je dis que je voudrais être roi »). Plus loin, dans la scène 4 du même acte, il s’égare dans les ordres qu’il donne à Ratcliff et Catesby, et change d’avis sans raison (IV, 4, v. 439-455) : si le pouvoir est d’abord le pouvoir de faire advenir les choses, si pouvoir c’est ordonner – et dans tous les sens du terme –, alors le pouvoir de Richard est une illusion. La tragédie shakespearienne livre ainsi deux enseignements, ou du moins deux considérations sur la politique et, du coup, sur l’histoire politique : le pouvoir est une machine à fantasmes ; le pouvoir ne se détient pas, il s’exerce ; aussi, toute histoire centrée sur la sphère du pouvoir manque quelque chose d’essentiel si elle ne sait pas montrer cela, ou si elle n’en tient pas compte.