Paradoxe sur le comédien de Diderot: Lire le texte en entier
Sur le théâtre de Diderot et le paradoxe du comédien (1H)
Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien (1773, publication posthume 1830)
Philosophe des Lumières, Denis Diderot est à la fois romancier, essayiste et dramaturge. Le Paradoxe sur le comédien est l’un des textes théoriques qu’il consacre au théâtre. Déçu par sa lecture de la brochure de Sticotti intitulée Garrick ou Les Acteurs anglais (1769), Diderot amorce une réflexion de fond sur l’art du comédien, qui donnera naissance à l’un des textes majeurs consacrés à cette question. Dans ce dialogue fictif, l’auteur met en scène deux personnages, chacun exprimant une vision opposée du jeu de l’acteur. Diderot donne ici la voix au « premier interlocuteur », qui est en réalité son porte-parole.
Comment Diderot définit-il le bon comédien ? En quoi la thèse qu’il défend est-elle paradoxale ? Dans quelle mesure celle-ci vous paraît-elle rendre compte de votre pratique ?
Le bon comédien n’est pas, selon Diderot, un homme doué de sensibilité, mais un être capable de reproduire « les signes extérieurs » de celle-ci. Alors que le XVIIIe siècle valorisait les acteurs qui jouaient d’âme et laissaient libre cours à leurs sentiments, le philosophe défend une thèse paradoxale, qui va à l’encontre (para) de l’opinion commune (doxa) : « C’est l’extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres ; c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs ; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes » (Denis Diderot, Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien, 1773-1830, présentation par Sabine Chaouche, © Éditions Flammarion, 2000, p. 56). Le grand acteur est avant tout un grand observateur qui perçoit et mémorise les manifestations extérieures, visibles ou audibles, des émotions (« Ce tremblement de la voix, ces mots suspendus, ces sons étouffés ou traînés, ce frémissement des membres, ce vacillement des genoux, ces évanouissements, ces fureurs, pure imitation, leçon recordée d’avance », op.cit., p. 55).
petite video montrée en cours sur stanislavski et meyerhold
Constantin Stanislavski, La Formation de l’acteur (1936)
Comédien, metteur en scène et professeur d’art dramatique, Constantin Stanislavski (1863-1938) est aussi cofondateur du Théâtre d’Art en 1898. Il défend une haute vision de l’art théâtral, ce qui l’amène à penser en profondeur le travail de l’interprète, à travers, notamment, deux ouvrages, La Construction du personnage et La Formation de l’acteur. Ce texte-ci se présente comme un dialogue entre le pédagogue Tortsov (double fictionnel de Stanislavski) et les apprentis comédiens.
Comparez ce texte avec l’extrait de Diderot proposé ci-dessus. Quelle vision du jeu théâtral Stanislavski défend-il ici ?
Vous êtes-vous aussi confronté à des artistes, des
pédagogues, qui cherchent à vous enseigner l’art de l’interprétation ? Dans
quelle mesure ces textes théoriques peuvent-ils nourrir votre réflexion sur
votre pratique personnelle et/ou sur les indications de jeu, les directions de
travail qui ont pu vous être données ? De quel théoricien vous sentez-vous le
plus proche ? Pourquoi ? Réflexion à mener dans le carnet de bord.
Les deux auteurs empruntent une forme commune – le dialogue
fictionnel – pour exposer leur point de vue, à travers la figure du premier
interlocuteur (Diderot) ou du pédagogue Tortsov (Stanislavski). Les autres
locuteurs mis en scène permettent soit d’exposer certains contre-arguments,
soit de préciser une pensée ou de la rendre plus vivante.
Deux conceptions du travail de l’interprète semblent ici s’opposer. Alors que
le comédien doit, selon Diderot, mettre l’accent sur « les signes
extérieurs du sentiment », chez Stanislavski, c’est « l’aspect
intérieur du rôle » qu’il s’agit de cerner pour commencer. La sensibilité
décriée par le philosophe du XVIIIe se trouve au centre du système
élaboré par le pédagogue russe : « vous devez [vivre le rôle] en
éprouvant réellement les sentiments qui s’y rapportent chaque fois que vous le
recréez ». Stanislavski attend que l’acteur agisse en
« communion » avec le personnage, tandis que Diderot préconise la
distance requise par « la pure imitation ».
On pourra évoquer la postérité de Stanislavski, les liens qu’il
entretient avec l’Actors Studio, tout en rappelant que l’extrait proposé ne rend pas compte de la complexité de ses théories. La confrontation avec
le texte de Diderot permettra toutefois de penser le travail de l’acteur
dans son va-et-vient continuel entre intérieur et extérieur. Elle sera
l’occasion de se situer, même schématiquement, dans ces débats. Le recours au
carnet de bord, par le prolongement qu’il permet entre pratique et théorie,
sera des plus précieux.
Huit grands exercices et principes résultèrent de ce Système énoncé dans La Formation de l’acteur, l’un des ouvrages fondamentaux de Stanislavski (1926) :
- Reproduire la réalité à partir d’une observation aiguë du monde.
- Tout
comportement sur scène doit être justifié psychologiquement par une
série de motivations et de justifications puisées dans le passé du
personnage.
- Toute émotion exprimée doit être
authentique et empruntée à la mémoire affective de chacun (d’où
l’impérative nécessité d’avoir recours à des exercices sensoriels –
articulés autour de l’exploitation exhaustive des cinq sens – en étroite
relation avec la recherche introspective).
- L’acteur
doit profondément analyser sa propre personnalité dans le but
d’apporter une vérité psychologique absolue à son personnage.
- Obligation
de pratiquer l’improvisation aussi bien pendant les répétitions que
durant les représentations pour rendre toute interprétation spontanée.
- Besoin
absolu pour les acteurs de communiquer de manière très intime et
d’apporter la plus grande attention à l’expression du partenaire, afin
de créer sur scène un « ensemble » harmonieux dans le jeu.
- Nécessité également d’utiliser les objets pour leur valeur symbolique, mais aussi pour leur relation étroite au monde matériel.
- L’acteur,
enfin, doit se vouer d’une façon quasi religieuse à son travail,
dévotion fondée sur une croyance mystique dans le pouvoir de la vérité
qui émane du jeu.
Pour Stanislavski, l’acteur se devait d’être le personnage vingt-quatre heures sur vingt-quatre." (Cieutat, 2006 )Emission sur Stanislavski ( 1H)
Bertolt Brecht, Petit organon pour le théâtre
(1948) Résumé de l'ouvrage
Dramaturge, metteur en scène et poète allemand, Bertolt Brecht (1898-1956) est également connu comme théoricien du théâtre. S’opposant à un théâtre du héros et de l’illusion hérité de Sophocle et d’Aristote, il défend un théâtre épique, fondé sur la distanciation. .
Quelle vision du jeu de l’acteur Brecht défend-il dans ce texte ? Quel lien établit-il entre le jeu du comédien et la réception du public ? De quel théoricien précédemment mentionné vous semble-t-il le plus proche ? Pourquoi ?
Brecht préconise un jeu distancé. Loin de chercher à « se métamorphoser
intégralement en son personnage », le comédien doit le montrer,
« ou, plus exactement, […] ne pas seulement le vivre » (Bertolt
Brecht, op. cit., p. 63-64). Le corollaire de l’interprétation
consciente d’elle-même mise en œuvre par l’interprète est la réception
distancée du public. Ni l’acteur ni le spectateur ne doivent s’identifier au
personnage. « Le public doit avoir là une entière liberté » (Ibid).
La distanciation préconisée par Brecht peut faire écho à celle que Diderot
appelle de ses vœux dans le Paradoxe du comédien. Pour autant, le but
du dramaturge allemand est particulier. Il s’agit d’inciter le spectateur à
prendre ses distances par rapport à la réalité représentée afin de solliciter
son esprit critique. Le but du théâtre brechtien est politique.