Olivier Balazuc acteur
Il y a besoin de l’acteur pour faire le pont entre l’écriture et l’oralité perdue. Je repense toujours à la malédiction du dieu Théétête qu’évoque Platon par la bouche de Socrate. Théétête est un dieu méchant qui a donné l’écriture aux hommes pour les punir. Le sophiste en face de Socrate ne comprend pas : c’est pourtant merveilleux les livres, ils permettent de thésauriser le savoir… La question de départ, si je me souviens bien, c’est : « Socrate, pourquoi n’écris-tu pas ? ». Il ne veut que l’oralité, c’est-à-dire être dans le temps réel de la discussion, de l’apprentissage. Le problème, c’est que les gens remettent le savoir à la bibliothèque et petit à petit, ce qui étai tunique, l’apprentissage par l’oralité, qui sème en chaque individu un savoir très particulier, l’organisation très originale de toutes les choses entendues, devient un seul et même contenu, véhiculé par les livres. Cela veut dire que plus on est médiatisé (grâce à internet par exemple, qui nous donne la possibilité, en un clic, d’avoir n’importe quel contenu à portée de main), moins il y a des raisons de savoir par cœur. , savoir, ce n’est pas seulement retenir mais digérer pour restituer de manière unique, après un temps de jachère, une pensée qui est devenue personnelle. Et l’acteur est celui qui sait par cœur, il est peut-être le dernier à savoir par cœur. Or, on sait très bien que dans la pratique, en réalité, c’est le B-A-ba : entre le moment où techniquement, la partition est sue et le moment où elle est suffisamment à l’intérieur du corps pour qu’on puisse commencer à répéter, c’est-à-dire oublier le texte pour chercher l’interprétation, il faut un peu de temps. Et c’est là qu’il y a du par cœur : quand revient la liberté, c’est-à-dire la capacité d’interprétation, de distance vis-à-vis du contenu pour réinventer ce texte-là, retrouver son oralité et la faire sienne, faire parler le texte. C’est là que le par cœur ou le « par corps » évoque une forme de connaissance que le théâtre permet : retrouver le chemin du chant. (…)
si on peut parler d’un art de l’acteur, c’est celui de l’incarnation, de la parole incarnée : au théâtre, on frotte la lampe à huile du langage commun pour tenter d’en faire surgir de la parole, des mots ayant leur poids de chair. Tout cela a à voir avec le style, c’est-à-dire comment cette chose-là se dit. La question n’est pas de trouver sur scène un équivalent du monde civil. Le corps de l’acteur en scène est plus une figuration, dans le meilleur des cas une transfiguration, qu’une mise en équivalence de telle ou telle chose. Par le poème dramatique, par l’art de l’acteur, et par l’art de la mise en scène par-dessus, on tente de figurer le réel, et non pas de le reproduire