Patrice Chéreau est le metteur en scène qui a mis en scène beaucoup de pièces de Koltes et l'a fait connaître:
Chéreau à propos de Koltes
Un blog pour les élèves des options théâtre du Lycée Camille Sée à Colmar
samedi 30 novembre 2019
mercredi 27 novembre 2019
Sur Désobéir, mise en scène Julie Béres
Tragédie antique/tragédie classique
Une capsule video pour réviser
Sur la tragédie classique
La période productive de RACINE coïncide avec une partie du règne de Louis XIV. Elle appartient à un mouvement des idées et du goût désigné sous le terme de Classicisme.
Sur la tragédie classique
La période productive de RACINE coïncide avec une partie du règne de Louis XIV. Elle appartient à un mouvement des idées et du goût désigné sous le terme de Classicisme.
• Fin XVI : la tragédie humaniste connaît une crise qui finit par provoquer sa disparition (concurrences de la tragi-comédie
et de la pastorale (pièce qui met en scène dans un décor champêtre
d’émouvantes histoires d’amour) + excès : l’accumulation de crimes et
d’horreurs finit par lasser le public) => Deb. XVII : la tragédie est à repenser et à reconstruire.
• Trois phénomènes expliquent le renouveau de la tragédie :
- de meilleures conditions matérielles (nouvelle salle de théâtre (Théâtre du Marais), alors que jusqu’en 1630, Paris n’en avait qu’une seule + installation d’une troupe professionnelle (les « Comédiens du Roi ») + théâtre devient un loisir à la mode).
- De nouveaux dramaturges de talent : SCUDÉRY 1601 - 1667) ; ROTROU (1609 - 1699) , CORNEILLE (1606 - 1684) ; RACINE (1639 - 1699).
- La redécouverte de la Poétique d’ARISTOTE : les théoriciens méditent les préceptes de cette oeuvre et élaborent progressivement une tragédie régulière, c’est-à-dire qui obéit à des règles précises => naissance de la tragédie classique.
• Trois phénomènes expliquent le renouveau de la tragédie :
- de meilleures conditions matérielles (nouvelle salle de théâtre (Théâtre du Marais), alors que jusqu’en 1630, Paris n’en avait qu’une seule + installation d’une troupe professionnelle (les « Comédiens du Roi ») + théâtre devient un loisir à la mode).
- De nouveaux dramaturges de talent : SCUDÉRY 1601 - 1667) ; ROTROU (1609 - 1699) , CORNEILLE (1606 - 1684) ; RACINE (1639 - 1699).
- La redécouverte de la Poétique d’ARISTOTE : les théoriciens méditent les préceptes de cette oeuvre et élaborent progressivement une tragédie régulière, c’est-à-dire qui obéit à des règles précises => naissance de la tragédie classique.
La tragédie classique s’inscrit dans son époque (même si elle reste étrangère à l’actualité) à travers l’adhésion à l’absolutisme et aux thèses largement acceptées d’une conception pessimiste de la condition humaine.
• Le poids de l’absolutisme : Louis XIV impose l’idée de la domination d’un seul (prestige du monarque, centralisation des talents, des charges et donc des richesses, à la cour de Versailles). La seule gloire dispensée est celle du monarque. Ainsi, les personnages de RACINE ne sont plus de vaillants héros recherchant l’exploit chevaleresque qui fondera leur gloire et assurera leur conquête amoureuse (comme chez CORNEILLE par exemple)
• Le refus des faits d’actualité : aucun des événements importants de l’époque (Guerre de Hollande, révocation de l’Édit de Nantes...) ne sert de base à la tragédie classique. Il y a une volontaire indifférente à l’actualité : la tragédie classique est avant tout préoccupée des aspects permanents de l’être humain (ses mœurs et ses sentiments). Les thèmes seront choisis dans ce qui appartient au général (l’Antiquité par exemple).
• Le pessimisme : l’idéal humain a donc perdu son aspect héroïque mais il est encore rabaissé par la rigueur de la théologie qui s’inspire de Saint Augustin (évêque du Vème prônant la sévérité). Celui-ci enseigne que l’homme, privé des lumières et des secours de Dieu, est livré à lui-même. Il est incapable de trouver la vérité et de juger (esprit), et il est la victime de ses passions qui l’entraînent (cœur).
C’est cette vision pessimiste que l’on retrouve dans Phèdre (elle sera soumise aux pulsions de l’instinct).
• Le poids de l’absolutisme : Louis XIV impose l’idée de la domination d’un seul (prestige du monarque, centralisation des talents, des charges et donc des richesses, à la cour de Versailles). La seule gloire dispensée est celle du monarque. Ainsi, les personnages de RACINE ne sont plus de vaillants héros recherchant l’exploit chevaleresque qui fondera leur gloire et assurera leur conquête amoureuse (comme chez CORNEILLE par exemple)
• Le refus des faits d’actualité : aucun des événements importants de l’époque (Guerre de Hollande, révocation de l’Édit de Nantes...) ne sert de base à la tragédie classique. Il y a une volontaire indifférente à l’actualité : la tragédie classique est avant tout préoccupée des aspects permanents de l’être humain (ses mœurs et ses sentiments). Les thèmes seront choisis dans ce qui appartient au général (l’Antiquité par exemple).
• Le pessimisme : l’idéal humain a donc perdu son aspect héroïque mais il est encore rabaissé par la rigueur de la théologie qui s’inspire de Saint Augustin (évêque du Vème prônant la sévérité). Celui-ci enseigne que l’homme, privé des lumières et des secours de Dieu, est livré à lui-même. Il est incapable de trouver la vérité et de juger (esprit), et il est la victime de ses passions qui l’entraînent (cœur).
C’est cette vision pessimiste que l’on retrouve dans Phèdre (elle sera soumise aux pulsions de l’instinct).
a. Le respect des genres anciens
• L’ambition de la conformité : L’auteur classique ne cherche pas à surprendre par l’invention de genres nouveaux (comme ce sera le cas au XIXème avec le drame romantique). Il reprend donc les genres définis depuis l’Antiquité : la tragédie, la fable, la comédie.
Il ne vise pas non plus à réformer les idées (à la différence des auteurs du Siècle des Lumières qui suit), ni à bousculer ou libérer les mœurs. On comprend dès lors que les dramaturges reprennent des tragédies antiques comme RACINE le fait en s’inspirant d’EURIPIDE et de SÉNÈQUE.
• Une application des théories d’ARISTOTE : La tragédie classique ne met en scène que de très hauts personnages (rois, reines...). Ceux-ci appartiennent à l’Histoire (Néron par exemple dans Britannicus) ou aux mythes de l’Antiquité comme pour Phèdre.
Il ne vise pas non plus à réformer les idées (à la différence des auteurs du Siècle des Lumières qui suit), ni à bousculer ou libérer les mœurs. On comprend dès lors que les dramaturges reprennent des tragédies antiques comme RACINE le fait en s’inspirant d’EURIPIDE et de SÉNÈQUE.
• Une application des théories d’ARISTOTE : La tragédie classique ne met en scène que de très hauts personnages (rois, reines...). Ceux-ci appartiennent à l’Histoire (Néron par exemple dans Britannicus) ou aux mythes de l’Antiquité comme pour Phèdre.
b. La vraisemblance
La tragédie
racinienne se veut imitation de la nature dans ses aspects universels.
Les faits doivent donc paraître vraisemblables aux spectateurs (il faut
qu’il ait l’illusion qu’il assiste au déroulement d’une histoire
réelle).
c. La règle de bienséance
Le souci de plaire est au cœur de l’esthétique classique
: l’auteur se veut donc en harmonie avec la morale et les goûts de son
public de manière à rencontrer son adhésion. La personne royale est,
bien entendu, l’arbitre suprême du bon goût. S’instaure dès lors une
règle tacite : celle des bienséances (= conduites en accord avec les
usages). Il en existe de deux sortes.
• La bienséance dite « interne » : elle prescrit que le comportement des personnages doit être conforme à leur âge, à leur condition sociale, aux mœurs et aux coutumes de leur pays. C’est à la fois une question de logique et de vraisemblance. C’est sans doute dans cet esprit que RACINE choisit de ne pas « salir » Phèdre en la rendant directement responsable de la calomnie d’Hippolyte : c’est Oenone qui en est coupable.
• La bienséance dite « externe » : elle vise à ne pas choquer la sensibilité ni les principes moraux du spectateur. Elle interdisait donc la représentation sur scène d’actes trop violents (meurtres, suicides...) et des allusions trop marquées à la sexualité, à la nourriture, à la vie du corps en général. Ainsi, les scènes trop violentes font l’objet d’un récit : dans Phèdre, la mort d’Hippolyte sera racontée.
• La bienséance dite « interne » : elle prescrit que le comportement des personnages doit être conforme à leur âge, à leur condition sociale, aux mœurs et aux coutumes de leur pays. C’est à la fois une question de logique et de vraisemblance. C’est sans doute dans cet esprit que RACINE choisit de ne pas « salir » Phèdre en la rendant directement responsable de la calomnie d’Hippolyte : c’est Oenone qui en est coupable.
• La bienséance dite « externe » : elle vise à ne pas choquer la sensibilité ni les principes moraux du spectateur. Elle interdisait donc la représentation sur scène d’actes trop violents (meurtres, suicides...) et des allusions trop marquées à la sexualité, à la nourriture, à la vie du corps en général. Ainsi, les scènes trop violentes font l’objet d’un récit : dans Phèdre, la mort d’Hippolyte sera racontée.
d. La règle des trois unités
• L’unité de temps
: la durée de l’histoire ne doit pas dépasser 24 heures. L’idéal est
que la durée de l’histoire coïncide avec la durée du spectacle (3 heures
environ) mais comme c’était rarement réalisable, on admettait qu’elle
s’étende sur une journée. Au-delà, le décalage était trop grand et
devenait préjudiciable à la vraisemblance.
• L’unité de lieu : le lieu devait être un lieu unique durant toute la pièce (pas de changements de lieu, donc pas d changements de décors). Les auteurs tragiques situent donc leur histoire dans un lieu qui peut être traversé par n’importe qui (le Roi mais aussi les valets, les confidents...) : il s’agit souvent de manière générale, du palais ou de l’antichambre.
• L’unité d’action : elle n’est pas synonyme d’action simple mais implique que tous les fils de l’intrigue soient fortement tissés et que toute action (ou parole) d’un personnage ait une conséquence sur les autres. C’est donc un principe de cohérence : rien n’est gratuit, rien n’est superflu.
• L’unité de lieu : le lieu devait être un lieu unique durant toute la pièce (pas de changements de lieu, donc pas d changements de décors). Les auteurs tragiques situent donc leur histoire dans un lieu qui peut être traversé par n’importe qui (le Roi mais aussi les valets, les confidents...) : il s’agit souvent de manière générale, du palais ou de l’antichambre.
• L’unité d’action : elle n’est pas synonyme d’action simple mais implique que tous les fils de l’intrigue soient fortement tissés et que toute action (ou parole) d’un personnage ait une conséquence sur les autres. C’est donc un principe de cohérence : rien n’est gratuit, rien n’est superflu.
La tragédie classique prétend remplir une fonction morale, conforme ainsi au principe d’ARISTOTE appelé la catharsis. En montrant les conséquences ultimes et catastrophiques des passions, la tragédie purge l’âme du spectateur de ces mêmes passions et l’incite à ne pas imiter les héros tragiques. Le théâtre rendrait ainsi les hommes meilleurs...
( ww.ac-grenoble.fr/disciplines/lettres/podcast/sequences/phedre/C81A56DA-AA4E-4450-A547-65AB7FE7CE83/Blog/8AB792E2-1D8F-44B6-B971-667A87218B13.html)
mardi 26 novembre 2019
Coupe dans la scène de l'Otage proposée par Emilie
Scène 10 l’Otage
Le début de la scène ne change pas – les coupes prévues restent valables.
A partir de la page 66, voici le texte à prendre en compte (incluant 2 nouvelles coupes, et une modification dans l’action)
L’homme s’approche en tremblant, tend le bras, cherche dans la poche de la dame, en tire les clés.
LA DAME – Imbécile.
UN HOMME (triomphant) – Vous avez vu ? Vous avez vu ? Qu’on amène cette Porsche jusqu’ici.
UN FLIC – Passez-lui les clés.
UN HOMME – Donnez-lui donc vous-même. C’est votre métier, les tueurs.
UN FLIC – Nous avons nos raisons.
UNE FEMME – Raisons mon cul.
L’homme 1 qui a toujours la clé en main la donne à Zucco.
ZUCCO – Je prends la femme avec moi. Ecartez-vous.
UNE FEMME – L’enfant est sauvé. Merci, mon Dieu.
UN HOMME – Et la femme ? Qu’est-ce qu’il va lui arriver, à elle ?
ZUCCO – Ecartez-vous.
Tout le monde s’écarte. Tenant d’une main le pistolet, Zucco se penche, prend la tête de l’enfant pas les cheveux, et lui tire une balle dans la nuque. Hurlements. Tenant le pistolet braqué sur la gorge de la femme, Zucco se dirige vers la voiture.
Le début de la scène ne change pas – les coupes prévues restent valables.
A partir de la page 66, voici le texte à prendre en compte (incluant 2 nouvelles coupes, et une modification dans l’action)
L’homme s’approche en tremblant, tend le bras, cherche dans la poche de la dame, en tire les clés.
LA DAME – Imbécile.
UN HOMME (triomphant) – Vous avez vu ? Vous avez vu ? Qu’on amène cette Porsche jusqu’ici.
UN FLIC – Passez-lui les clés.
UN HOMME – Donnez-lui donc vous-même. C’est votre métier, les tueurs.
UN FLIC – Nous avons nos raisons.
UNE FEMME – Raisons mon cul.
L’homme 1 qui a toujours la clé en main la donne à Zucco.
ZUCCO – Je prends la femme avec moi. Ecartez-vous.
UNE FEMME – L’enfant est sauvé. Merci, mon Dieu.
UN HOMME – Et la femme ? Qu’est-ce qu’il va lui arriver, à elle ?
ZUCCO – Ecartez-vous.
Tout le monde s’écarte. Tenant d’une main le pistolet, Zucco se penche, prend la tête de l’enfant pas les cheveux, et lui tire une balle dans la nuque. Hurlements. Tenant le pistolet braqué sur la gorge de la femme, Zucco se dirige vers la voiture.
samedi 23 novembre 2019
réflexion dramaturgique sur la pièce Roberto Zucco
Koltès le dit très bien en préambule : Zucco est un
monstre de force abattu par une femme. Une femme – la gamine – qui ne cherche
pas à l'abattre mais à le retrouver. Pour le retrouver, elle doit le trahir en
se rendant à la police. Et pourtant, l'histoire d'amour entre Zucco et la
gamine est la seule histoire d'amour accomplie dans la pièce. La scène entre
Zucco et la Gamine est un pur moment de bonheur dans un contexte familial
totalement morbide. On y voit un père alcoolique qui bat sa femme, elle-même
cassée par la vie ; une soeur paratonnerre de toutes les tensions
familiales et un frère aussi lâche que méchant dans sa façon d'emprisonner les
femmes de la maison. Ce qui tient ensemble cette famille est pourtant bien
l'amour : l'amour désespéré de la mère pour sa fille ; l'amour prison
du frère pour sa soeur ; l'amour hystérique de la soeur pour la
gamine ; l'amour devenu violence du père pour la mère. En plaçant son
amour en dehors des griffes familiales pour se jeter de façon ironique sur un
prédateur bien plus dangereux que la violence quotidienne, la gamine fait
exploser le château de cartes de la famille. Toutes les scènes liées à cette famille
sont donc des scènes de crise où chaque membre essaye de retrouver l'ordre
ancien ; plus chacun essaye, plus l'ensemble s'enfonce dans une situation
inextricable. L'immense talent de Koltès est de réussir à montrer tout cela
avec une force de vie magnifique : il n'existe pas de désespoir paralysant
chez les personnages de Koltès. Même dans les pires moments, ils se débattent
pour en sortir mais à la façon d'un cheval paniqué pris dans les sables
mouvants.
La scène fondatrice de la pièce, pur moment de tragédie, est
la scène du meurtre de la mère de Roberto Zucco par son fils. Cette scène
montre la complexité de la relation entre la mère et son fils, faite de haine,
de dégoût, de tendresse refoulée, de peur, d'espoir et d'amour. On peut lire
cette scène de plusieurs façons, cela dépend du curseur où l'on souhaite placer
la violence de Zucco. Certains ont tendance à jouer un Zucco tendre face à une
mère possessive et vulgaire mais cela pose l'immense problème de chercher à
expliquer la violence du personnage par des causes psychologiques et
familiales. Nous pensons pour notre part que la pulsion de Zucco n'est pas liée
à son histoire familiale mais qu'elle est intrinsèque au personnage. Il y a peu
de scènes qui nous permettent de montrer une négativité chez Zucco, à part sans
doute le meurtre de l'enfant. Dans cette deuxième scène de la pièce,
l'impossibilité de l'amour se fonde dès la naissance de Zucco. La mère dit
cette chose terrible « Tu es fou, Roberto. On aurait dû comprendre cela
quand tu étais au berceau et te foutre à la poubelle. » Le spectateur peut
être porté à détester cette mère mais il faut que dans la scène on arrive à
être d'accord avec elle. Roberto est fou, c'est un meurtrier (il vient de tuer
son père) et la liste de ses meurtres va s'allonger tout au long de son
parcours. Voilà également un tour de force que Koltès propose au metteur en
scène, amener le public à ne pas pouvoir aimer Roberto Zucco malgré les
nombreux moments où celui-ci est fondamentalement adorable. L'amour impossible
devient donc un motif théâtral entre la scène et la salle qu'il est passionnant
de mettre en exergue.
Il y a deux scènes dans la pièce qui sont tout à fait
uniques et nouvelles dans l'écriture koltésienne. Ce sont celles de
l'inspecteur mélancolique (scène 4) et du métro (scène 6). Uniques car elles
montrent des moments de partage et d'empathie entre des personnages qu'à priori
tout oppose. Dans la scène 4, un inspecteur confie sa mélancolie à la patronne
de l'hôtel de putes du Petit Chicago, qui l'écoute avec tendresse et tente de
le sortir de sa prémonition morbide (qui s'avérera exacte, malheureusement pour
lui). On peut bien parler là d'une affection réelle et partagée entre ces deux
personnages ; mais la sanction est immédiate : l'inspecteur est
assassiné par Zucco juste après avoir quitté la scène. Comme dans les tragédies
antiques, un messager vient raconter toute la scène à la patronne. Ce messager
est une pute qui décrit précisément le rendez-vous de l'inspecteur avec la
mort. De façon très belle dans le récit, au moment où Zucco plante son poignard
dans le dos de l'inspecteur, celui-ci balance la tête comme s'il avait
profondément compris le sens de son existence. Dans Roberto Zucco, la mort est
d'une certaine façon un acte d'amour, en devenant la plus belle des épousées.
On ne peut s'empêcher de voir là une forme de testament d'un auteur qui sait
sans doute qu'il va mourir au moment où il écrit la pièce. Ce sont des instants
qui doivent résonner fortement dans nos têtes.
La seconde scène, celle du métro, met en présence un vieux
monsieur, perdu dans les dédales du métro à l'heure de la fermeture et Zucco.
C'est une scène très étrange, où l'inquiétude du vieux dont la vie a toujours
été normale rencontre le calme du jeune tueur faisant l'hallucinant récit de sa
vie normale. On pourrait imaginer à chaque seconde que Roberto Zucco tue le
vieux monsieur car au fond rien n'explique qu'il ne le tue pas. Ce qui le
retient peut-être c'est que le récit du vieux parle de la vérité de qui est
Roberto, un homme perdu dans les dédales de sa vie et de son cerveau, un homme
qui a déraillé et qui se retrouve face à sa mort. Là aussi, la proximité de la
mort active une douceur et la possibilité d'un échange réel entre deux êtres
humains. Le vieux monsieur va mourir parce qu'il est vieux. Roberto Zucco va
mourir parce que c'est son destin.
Le paroxysme du motif de l'impossible amour est sans doute
atteint dans les scènes 12, La gare, la 13, Ophélie et la scène 14,
L'arrestation. Elles précèdent la scène finale, Zucco au soleil, qui résout de
façon définitive le drame dans la fusion du personnage principal avec le
soleil. Il n'existe sans doute pas ailleurs dans l'oeuvre de Koltès des scènes
dont l'intensité amoureuse et dramatique soit aussi grande que dans ces
dernières scènes. La scène 12 met en présence la dame élégante et Zucco, dans
une gare, quelques heures après que Roberto ait tué le fils de la dame à bout
portant. Cette femme, à la fois déchirée par le meurtre de son fils mais qui en
même temps désire son assassin, demande à Zucco de fuir avec lui, ce que ce
dernier refuse. Cette scène cristallise en quelques courtes pages toutes les
questions si centrales chez Koltès du désir, de la mémoire, des contradictions
intérieures, de la solitude, de la folie, d'une forme d'humour assez désespéré
aussi. A jouer, la scène 12 est peut-être la plus difficile de la pièce à
atteindre dans sa justesse et dans la totalité de ses enjeux. Elle demande aux
acteurs à la fois de la souplesse, de l'intensité, de la vérité, la capacité à
se mettre hors de soi-même sans déraper dans la saturation.
La scène 14 commence sur une note d'humour entre les deux policiers qui agissent en miroir de la première scène de la pièce, se disputant sur l'utilité d'être là. Mais contrairement à la première scène, ils parviennent à arrêter Zucco grâce à la gamine devenue pute. Celui-ci ne cherche d'ailleurs pas à s'enfuir. Quand elle aperçoit Zucco, la gamine se jette sur lui et lui déclare un amour total et inconditionnel qu'elle sait pourtant avoir trahi. On sait cet amour impossible ; la naïve beauté des paroles de la gamine n'en devient que plus bouleversante.
Bernard-Marie Koltès meurt peu après l'écriture de la pièce de la maladie de l'amour. Les derniers mots de Roberto Zucco sont : « Il tombe » alors que la lumière, pareille à l'éclat d'une bombe atomique, inonde la scène. L'amour impossible d'Icare pour le soleil est la métaphore ultime de la pièce.
La scène 14 commence sur une note d'humour entre les deux policiers qui agissent en miroir de la première scène de la pièce, se disputant sur l'utilité d'être là. Mais contrairement à la première scène, ils parviennent à arrêter Zucco grâce à la gamine devenue pute. Celui-ci ne cherche d'ailleurs pas à s'enfuir. Quand elle aperçoit Zucco, la gamine se jette sur lui et lui déclare un amour total et inconditionnel qu'elle sait pourtant avoir trahi. On sait cet amour impossible ; la naïve beauté des paroles de la gamine n'en devient que plus bouleversante.
Bernard-Marie Koltès meurt peu après l'écriture de la pièce de la maladie de l'amour. Les derniers mots de Roberto Zucco sont : « Il tombe » alors que la lumière, pareille à l'éclat d'une bombe atomique, inonde la scène. L'amour impossible d'Icare pour le soleil est la métaphore ultime de la pièce.
Qui es-tu Roberto Zucco?
Qui es-tu Roberto Zucco ?
Voilà une question en vis sans fin. Qui est cet homme, le seul personnage de la pièce ayant un nom ? Ce nom qui est d’ailleurs pour lui une obsession. Ce nom qu’il ne peut dire car s’il le prononçait il en mourrait.
Ce nom qu’il doit répéter sans cesse pour ne pas l’oublier.
Ce nom qu’il n’arrive plus à lire et qui emporte avec lui sa mémoire. Qui
est-il, cet être qui se veut transparent, aussi transparent qu’une vitre ou
qu’un caméléon sur une pierre ? Est-il le produit d’une société devenue
folle ? Un irresponsable transformé en tueur par la violence du
monde ? Un martyr de la société prisonnier de son hagiographie ? Bien
sûr nous savons que Bernard-Marie Koltès s’est inspiré de Roberto Succo, le
tueur en série Italien qui sévit en France et en Suisse d’avril 1987 à février
1988 et pour qui il sembla avoir une grande fascination.
Qui es-tu Zucco ?
Es-tu un Chronos dévorant le monde ? Ou comme le dit Koltès « un
personnage mythique, un héros comme Samson ou Goliath, monstres de force,
abattus finalement par un caillou ou une femme » ? Qui es-tu ? Un
assassin psychopathe ? Un séducteur halluciné ? Une bête furieuse et
sauvage ? Un train qui a déraillé ? Une voiture qui s’est écrasée au
fond d’un ravin ? Un hors norme ? Es-tu comme le dit Koltès « Un
assassin automatique » ? Une figure de la transgression
sociale ? Un héros marginal impulsif et sans aucune pitié défiant la
société ? Ou alors peut-être es-tu un Icare meurtrier fasciné par le vol
libre des oiseaux ? Un hippopotame de chair tremblante ? Un fou épris
d’une telle volonté de puissance qu’il peut s’imaginer faire l’amour avec le
soleil ? Un corps sans identité, morcelé, qui va de la plus grande démesure
à la plus naïve douceur ?
Ce qui est certain, c’est que tu te dérobes à toute logique,
à toute rationalité, à tous raccourcis psychologiques. Il y a trop de lumière
en toi pour que tu sois visible et capturé par une seule vérité. A moins, et
nous en faisons l’hypothèse, que tu ne sois qu’un virus ! Une saleté de
virus mortel ! Une unité matérielle indépendante, accomplissant ce
pourquoi elle est programmée et qui pour exister doit infecter une cellule hôte
afin de jouir de sa machinerie pour subsister. Un parasite intracellulaire
obligatoire pour lequel il n’y a pas de vaccins. Tu ne serais donc pas un être
vivant mais une association monstrueuse de molécules biologiques issues de la
même soupe primordiale que les hommes.
Mais toi, tu aurais évolué parallèlement à nous. Tu serais
un être très ancien et diaphane qui infecterait ce monde épuisé qui n’a plus
les moyens de se défendre. Tu serais le vecteur naturel de notre haine, de
notre animosité prédatrice. Un virus apocalyptique attaquant une sociéte dont
les défenses immunitaires ne peuvent plus discerner le soi du non-soi. Et ton
pouvoir pathogène serait si important que la fièvre morbide que tu provoques
deviendrait au dernier stade une surchage érotique. Zucco est un virus !
Peut-être l’image miroir de ce virus qui dévora Bernard-Marie Koltès et que
celui-ci enferma dans une dernière pièce à la beauté fabuleuse.
L'impossible amour dans Roberto Zucco
Il existe un dessin qui s’impose comme étant au cœur de Roberto Zucco, c'est l'amour impossible, et son corollaire pour le jeu : la lutte pour l’amour. Tous les personnages, à des degrés divers et avec des formes très différentes, essayent furieusement de s’aimer, sans presque jamais y parvenir. Ce motif de l’amour impossible est présent dans toute l’œuvre de Bernard-Marie Koltès. Que l'on pense à La nuit juste avant les forêts, où celui qui parle cherche l'amour de celui qui écoute, à Combat de nègre et de chiens, qui relate l'amour contrarié entre Cal et Léone, les exemples sont multiples. Mais jamais peut-être cette dimension n’avait été explorée de façon aussi complète par l’auteur et n’avait atteint un tel degré d’incandescence.
L'impossible amour dans Roberto Zucco
Il existe un dessin qui s’impose comme étant au cœur de Roberto Zucco, c'est l'amour impossible, et son corollaire pour le jeu : la lutte pour l’amour. Tous les personnages, à des degrés divers et avec des formes très différentes, essayent furieusement de s’aimer, sans presque jamais y parvenir. Ce motif de l’amour impossible est présent dans toute l’œuvre de Bernard-Marie Koltès. Que l'on pense à La nuit juste avant les forêts, où celui qui parle cherche l'amour de celui qui écoute, à Combat de nègre et de chiens, qui relate l'amour contrarié entre Cal et Léone, les exemples sont multiples. Mais jamais peut-être cette dimension n’avait été explorée de façon aussi complète par l’auteur et n’avait atteint un tel degré d’incandescence.
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