Documentaire sur la classe morte de Kantor
L'univers de Gisèle Vienne : explorer son site.
Pinocchio live d'Alice Laloy
Teaser du spectacle
La Marionnette chez Craig:
Voulant donner à voir, sur la scène, « cette vie mystérieuse, joyeuse et
superbement aboutie que l’on appelle la Mort », Edward Gordon Craig
propose en 1907 de remplacer le comédien de chair et de sang par son
double artificiel, la Surmarionnette. Près de soixante-dix ans plus
tard, le mannequin en compagnie duquel Tadeusz Kantor fait entrer
l’acteur vivant sur la scène vient nous rappeler que le théâtre prend sa
source dans les territoires de la mort.
Nombreux sont, aujourd’hui, les artistes qui se ressaisissent de ce
double héritage, repoussant les limites du théâtre d’acteurs et du
théâtre de marionnettes pour explorer les relations entre corps
biologique et corps artificiel, représentation de la mort et
représentation du vivant.
Extrait de L’Art du théâtre
Par EdwardGordon Graig
«
Tout ce qui est accidentel est contraire à l ‘Art. L’art est
l’antithèse même du Chaos, qui n’est autre chose qu’une avalanche
d’accidents. L’Art ne se développe que selon un plan ordonné. Il ressort
donc clairement que pour créer une œuvre d’Art, nous ne pouvons nous
servir que de matériaux dont nous usions avec certitude. Or, l’homme
n’est pas de ceux-là. Toute sa nature tend à l’indépendance ; toute sa
personne montre à l’évidence qu’elle ne saurait être employée comme «
Matière » Théâtrale.
Les
gestes de l’acteur, l’expression de son visage, le son de sa voix, tout
cela est à la merci de ses émotions… Son visage et ses membres, s’ils
n’échappent pas à tout contrôle, résistent bien faiblement au torrent de
la passion intérieure et manquent de le trahir à tout instant.
Comme
je l’ai écrit par ailleurs, le Théâtre continuera de croître, et les
acteurs pendant un certain nombre d’années encore retarderont son
développement. Mais j’aperçois une issue par où ils pourront échapper à
leur servitude actuelle. Ils recréeront une manière de jouer nouvelle
consistant en grande partie en gestes symboliques.
De
nos jours l’acteur s’applique à personnifier un caractère et à
l’interpréter ; demain il essaiera de le représenter et de l’interpréter
; au jour prochain il en créera un lui-même. Ainsi renaîtra le style.
Et
voilà ce qu’on appelle faire œuvre d’art, ce qu’on dit être une manière
intelligente de suggérer une idée. Ma foi, cela fait penser à un
peintre qui tracerait sur un mur l’image d’un quadrupède à grandes
oreilles et puis écrirait « âne » dessous. Les grandes oreilles
l’indiquaient de reste, sans qu’il ait eu besoin de rien écrire ; un
écolier n’eût pas fait autrement. La différence entre l’écolier et
l’artiste est que celui-ci au moyen des seuls traits et des contours
évoque aussitôt l’image de l’âne ; et si c’est un grand artiste il
évoquera l’idée de l’espèce entière des ânes, l’esprit de la chose.
L’acteur
enregistre la vie à la manière d’un appareil de photographie et il
essaie d’en donner un cliché photographique. Il ne soupçonne pas que son
art puisse en être un comme la Musique. Il s’efforce uniquement de
reproduire la nature ; il pense rarement à inventer d’après elle ; il ne
songe jamais à créer.
«
Quoi ! » s’écrie l’acteur au sang vif et aux yeux étincelants : « Il
n’y aura donc ni chair ni vie dans votre Art du Théâtre ! » Tout dépend
de ce que vous entendez par vie quand vous vous servez de ce mot
relativement à l’idée d’Art. Pour le peintre, le mot de vie représente
quelque chose de très différent de la réalité ; pour les autres artistes
le mot vie a un sens tout idéal ; et ce sont les seuls, acteurs,
ventriloques et naturalistes, pour qui mettre de la vie dans leur œuvre
signifie fournir une imitation matérielle, grossière, immédiate de la
réalité.
Les
lois qui régissent la peinture, la architecture et la musique rendent la
chose possible. Un tableau peut se composer de quelques lignes à peine.
Mais si simples soit-il, il peut être parfait. Elles seront à mon gré
droites ou courbes, et il n’y a pas à craindre que ma main les trace
courbes si je les veux droites.
Ce
qui à mes yeux fait la différence entre la résultante de l’intelligence
et la résultante du Hasard (c’est que) la première donne une œuvre
d’art, la seconde n’est qu’une œuvre de circonstance. Qu’une production
de l’intelligence atteigne sa forme parfaite et c’est une œuvre d’art
pur. Et c’est pourquoi j’ai toujours soutenu, bien que je puisse me
tromper, que votre profession n’est pas de nature artistique, chacune de
vos réalisations étant sujette à être modifiée par l’émotion. »
Si
vous découvrez quelque jour dans la Nature un mode nouveau dont l’homme
n’ait jamais usé pour exprimer sa pensée, sachez que vous serez à la
veille de créer un nouvel Art ; car vous aurez découvert les éléments
mêmes de cet Art.
Pater
écrit à propos de la sculpture : « Sa lumière blanche lavée de la
pourpre sanglante de l’action et de la passion, révèle, non point ce qui
est accidentel dans l’homme, mais ce qui est divin en lui, ce qui
contraste avec son agitation continuelle. »
Peut-être
la marionnette redeviendra-t-elle quelque jour le médium fidèle de la
belle pensée de l’artiste? Et le jour approche qui nous ramènera le
pupazzi, créature symbolique façonnée par le génie de l’artiste, et où
nous retrouverons « la noble convention » dont parle l’historien grec ?
Nous ne serons plus alors à la merci de ces aveux de faiblesse qui
trahissent sans cesse les acteurs et éveillent à leur tour chez les
spectateurs des faiblesses pareilles. Dans ce but, il faut nous
appliquer à reconstruire ces images, et non contents des pupazzi, il
nous faut créer une sur-marionnette.
Celle-ci
ne rivalisera pas avec la vie, mais ira au-delà ; elle ne figurera pas
le corps de chair et d’os, mais le corps en état d’extase, et tandis
qu’émanera d’elle un esprit vivant, elle se revêtira d’une beauté de
mort. Ce mot de mort vient naturellement sous la plume par rapprochement
avec le mot de vie dont se réclament sans cesse les réalistes.
L’artiste
étant par définition celui qui perçoit davantage que ceux qui
l’entourent, et qui exprime plus qu’il n’a vu. Et parmi les artistes, ce
n’était pas le moindre que l’ordonnateur des cérémonies, le créateur de
visions, ministre dont l’office de célébrer l’esprit qui présidait à la
cité – l’esprit du Mouvement.
Vous
comprenez maintenant ce qui m’a fait aimer et apprécier ce que de nos
jours on nomme « marionnette » - ce qui m’a fait détester ce qu’on nomme
« le réalisme dans l’Art ? »
Je
souhaite ardemment le retour de cette image au Théâtre, de cette
sur-marionnette. Que ce symbole revienne, et sitôt apparu il gagnera si
bien les cœurs, que nous verrons renaître l’antique joie des cérémonies,
la célébration de la Création, l’hymne à la vie, la divine et heureuse
invocation à la Mort. »
Texte célèbre de Kleist sur le Théâtre de marionnettes
Article la marionnette contre l'acteur
Sur l'inquiétante étrangeté des marionnettes