Extrait : acte II, scène 8. Hannah
Après des échanges de plus en plus tendres entre Louis et Joe
(II, 7), ce dernier, ivre, téléphone le soir-même d’une cabine téléphonique de
Central Park à sa mère Hannah, pour lui révéler son homosexualité. Cet aveu
émouvant le renverra malgré tout vers sa solitude.
Dans le film d’Arnaud Desplechin, procédé qu’il reprend
salle Richelieu, la distance qui sépare Hannah de son fils Joe (ils se trouvent
respectivement à Salt Lake City et à New York) et qui explique qu’ils doivent
communiquer par téléphone est simplement suggérée, puisque les comédiens sont
très proches l’un de l’autre sur scène. Il existe donc deux espaces distincts
qui cohabitent sur scène, espaces qui sont signalés par la lumière et la place
des acteurs. La mise en scène permet donc de souligner qu’il s’agit d’un moment
intime malgré la distance. Arnaud Desplechin, cinéaste, semble s’appuyer ici
sur la technique du split-screen,
procédé couramment employé lors de conversations téléphoniques au cinéma, qui
permet lui aussi de jouer sur le contraste distance-proximité.
Comment la scénographie permet-elle de donner à ce dialogue une
dimension intimiste ?
Pour donner à la scène sa dimension intimiste et rendre la révélation de Joe
plus forte, Desplechin s’appuie sur une lumière tamisée qui forme un cercle
autour d’Hannah à jardin, lumière reprise par une petite lampe de chevet, et
une semi-pénombre à cour, du côté de Joe. De nombreux plans serrés sur
Christophe Montenez vont encore accentuer ce sentiment d’intimité.
L’espace de la mère, conformément aux recommandations de Tony Kushner, est
encore une fois simplifié à l’extrême : la pièce d’où elle téléphone est
représentée par un simple panneau recouvert de papier peint aux motifs floraux
désuets. Un meuble à côté d’elle révèle un intérieur confortable et
conventionnel.
Le fauteuil de cuir ancien, où se tient assise Hannah, permet de limiter ses
déplacements : elle peut tout entière se consacrer à son échange avec son
fils.
Les costumes
Montrez que les costumes des deux personnages permettent à la
fois d’identifier la situation dans laquelle ils se trouvent mais aussi de
mettre l’accent sur ce qui oppose la mère et le fils.
Le contraste entre la mère et le fils est patent : les deux costumes
sont naturalistes mais indiquent toute la distance qui sépare les deux
personnages. La mère est en chemise de nuit, en robe de chambre et en
chaussons : elle a été réveillée par son fils au milieu de la nuit (il est
deux heures du matin à Salt Lake City) et arbore une tenue des plus
conventionnelles, parfaitement cohérente avec le moment de l’appel. À
l’inverse, Joe est en costume de travail : sa tenue incongrue pour cette
heure indique que quelque chose d’inhabituel se déroule. Les premières
répliques de la scène vont confirmer cette incongruité, si bien qu’Hannah ira
de surprise en surprise, suspectant son fils d’avoir bu et s’étonnant de sa
présence à Central Park en pleine nuit (ce que marquent notamment les
majuscules, les exclamatives et les points de suspension du texte).
Les objets
Qu’apporte à la scène la présence concrète des téléphones ?
Tout au long de la scène, les téléphones occupent une place centrale :
c’est à partir d’eux que le jeu des comédiens va se développer. Leur présence
sur scène met donc tout particulièrement en valeur la parole et les mots de
vérité de Joe. Par ailleurs, les téléphones – tous deux datés – sont
différents : celui de Dominique Blanc, un vieil appareil sans fil, est un
téléphone d’intérieur, le fil de celui de Christophe Montenez rappelle une
cabine.
Quand Joe lâche le téléphone alors qu'Hannah parle encore, cela exprime tout son désarroi de ne pas être entendu et reconnu et sa solitude.
Le son
Quel usage de la bande son Arnaud Desplechin fait-il dans cette
scène ?
Les sirènes sont typiques de celles qu’on entend à New York : elles
créent ainsi une atmosphère naturaliste (on ne voit pas Central Park mais on
l’entend). On peut aussi entendre dans ces sirènes une allusion aux
transgressions de Joe, transgressions particulièrement graves si l’on repense à
son milieu d’origine. Par ailleurs, le silence de la scène met en valeur
l’intensité de l’échange : un long silence au centre de la scène accentue
encore cet effet. On peut noter à la fin une pièce pour cordes de Sébastien
Trouvé particulièrement dramatique qui permet de créer une transition avec la
scène 9.
Les types de jeu
Le jeu au téléphone apporte des contraintes : comment les
deux comédiens parviennent-ils néanmoins à rendre la scène particulièrement
vivante ?
Il est frappant de noter que les comédiens seront presque entièrement
immobiles face au public tout au long de la scène. Cette contrainte liée à
l’objet téléphone de l’époque permet aussi de renforcer l’intensité de l’aveu
et de sa réception. En un sens, on peut dire que les personnages sont
paralysés, foudroyés par ce qu’ils se disent et ce qu’ils entendent : un
questionnement profond sur les relations affectives au sein d’une famille
mormone où la pudeur est de règle. Cette parole est au cœur de la scène.
Par ailleurs, tout le jeu va se concentrer sur la voix et l’expression du
visage. Passant de l’inquiétude, à l’étonnement enfin à l’incompréhension et à
la colère pour Dominique Blanc, à une douceur triste liée à la gravité de
l’aveu du côté de Christophe Montenez qui parvient à trouver des intonations d'enfant face à sa mère.
Le contraste entre les deux types de jeu est, là aussi, clair : la
fragilité de Joe se traduit par une voix à peine audible, voilée par l’émotion
tandis que sa mère, sûre de ses principes, va non seulement se lever au cours
de la scène, mais aussi utiliser sa main gauche (bras plié, doigts écartés
ponctuant de son déni chacune de ses affirmations) dans une gestuelle
d’autorité. La scène est construite comme un lent crescendo où le moment de la
révélation est savamment retardé jusqu’à la fin, fin qui entérine
l’incommunicabilité entre mère et fils.
la mère semble plus préoccupée par le sort de la femme de Joe , Harper que par l'aveu de son fils. elle est dans le déni, ses paroles comme son silence sont d'une grande cruauté pour le fils.
Les références artistiques
À quel peintre américain l’image scénique produite peut-elle
faire penser ?
Visuellement cette scène semble inspirée par le peintre des solitudes
urbaines d’Amérique, Edward Hopper : on y retrouve ces personnages
réalistes nimbés d’une lumière qui les isole dans une sorte de tragique
ordinaire.
Edward Hopper
Peintre de la solitude
Penser à relire les scènes dans lesquelles intervient Hannah