Soulier
de satin, Sujet de Bac
18/20
1) Rédigée entre 1919 et
1924, la pièce Le soulier de satin établit des codes théâtraux
totalement en rupture avec l’époque. Sous ses aspect rétrogrades, ( Lesquels ?) Paul Claudel se pose pourtant réellement comme aussi novateur dans sa
vision de l’art dramatique que son contemporain Bertolt Brecht. Bien que
Claudel n’ait pas théorisé sa distanciation, il s’agit en effet de cesser de
s’échiner à maintenir debout l’illusion théâtrale pour pouvoir mener le
spectateur à une réflexion plus poussée. Cette conception sans artifices qu’il
a de ce qui devrait être fait sur scène de son œuvre est notamment explicitée
dans le propos introductif de la pièce. Nous nous interrogerons donc sur la
cohérence entre les choix de mise en scène faits par A.Vitez et ce que Claudel
lui-même souhaitait pour sa pièce. Cette interrogation sera centrée sur la
scène 3 de la première des quatre journées, celle dite « de la charmille » dans
laquelle Dona Prouhèze et Don Camille, dans le jardin de Don Pélage, l’époux de
la belle, discutent. La dame se trouve de l’autre côté d’une charmille qui la
protège des regards et gestes séducteurs de Don Camille qui lui promet une vie
de voyage et d’aventure à ses côtés dans la régence d’un fort au Maroc pour le
compte du roi d’Espagne. D’une certaine façon, cette scène, bien que troisième
dans le déroulement, participe encore à un processus d’exposition puisqu’elle
expose deux personnages centraux encore ignorés du spectateur dans ce qui
précède (ou faiblement évoqué uniquement au travers du spectre de sa protection
pour Prouhèze). La question scénographique principale de cette scène est
évidemment de savoir comment figurer une charmille séparant les acteurs sans
pour autant boucher le jeu en occultant la vision du spectateur ou en rendant
le jeu statique, et surtout comment figurer un objet si important au jeu sur
scène sans déroger aux indications de Claudel qui exècre le réalisme. ( TB)
Avant tout, il s’agit de
savoir ce qu’il faut entendre par la théâtralité de Claudel. Dans
l’introduction de son œuvre, Claudel défend vis-à-vis de la scénographie une
posture très minimaliste. Y sont mentionnés des « toiles blanches » et des «
bouts de cordes ». On comprend donc que pour représenter la multitude des lieux
de l’action de cette pièce -monde, l’auteur
souhaite une posture plus symboliste que réaliste. Cela peut nous rappeler la
tradition shakespearienne selon laquelle le cadre spatio-temporel est écrit sur
des panneaux montrés à la vue du public. En effet, peu importe à Claudel de
faire un théâtre de la raison, il faut utiliser l’imagination et la faire
travailler en figurant les choses, plutôt qu’en les représentant. Il se
revendique d’un théâtre « provisoire, en marche, bâclé, incohérent, improvisé
dans l’enthousiasme ». Dans le même but, il ne veut pas que les scènes soient
interrompues par des ruptures, car ces rupture servent usuellement à faire
comprendre au spectateur que les scènes sont indépendantes et qu’une ellipse
peut se trouver entre les deux dans le fil narratif, encore une fois il s’agit
de briser l’illusion du théâtre pour accentuer la poésie et l’imaginaire.
On se rend rapidement compte
que la vision de Claudel est appliquée au sens le plus strict par Vitez dans sa
mise en scène. En effet dans la scène de la charmille, le décor qui se veut
être celui d’un jardin de château espagnol au siècle d’or garni d’un grand
buisson au travers duquel deux amants peuvent se parler (une charmille) ( il manque le verbe principal. Veille à bien maîtriser tes phrases complexes.), mais la mise en scène préfère un plateau dépouillé
dont le seul élément de décor est une figuration de ladite charmille par un
panneau de bois brodé de motif floraux derrière lequel se cache Prouhèze,
puisque l’unique intérêt au jeu de cette charmille est bien de dissimuler la
damoiselle. Idem pour les costumes qui font le choix du figuratif plutôt que du
réaliste. Don Camille n’est pas vêtu d’un costume traditionnel de la
Renaissance espagnole mais plus simplement de vêtements dépouillés, bien que
travaillés, faits de multiples sangles et éléments en cuir qui rappellent à la
fois le côté pratique du voyageur, le côté protecteur du guerrier et le côté
charnel du séducteur. Le costume est assorti à son paquetage, unique autre
accessoire que la charmille sur scène qui a pour vertu de nous éclairer sur le
fait que Camille est de passage, et caractérisé par son âme aventureuse.
De cette même façon, le jeu
de séduction entre Camille et Prouhèze, au lieu d’être réaliste et « cinéma »,
ce qui en plus d’aller à l’encontre des volontés de Claudel, rendrait la scène
moins visuelle pour le public, est figurée par des aller-retours de Camille
devant le panneau qui tente de le contourner, alors que celui ci suit le
mouvement afin de toujours protéger Prouhèze de la vue du visiteur. À un seul
moment la protection est rompue par Camille quand il prend la dame de vitesse
et lui vole un baiser sur la main. Ainsi le jeu et la scénographie d’Antoine
Vitez se veulent en adéquation avec la théâtralité claudélienne.
Le
sujet est bien compris et habilement traité : manque la mention de
l’acteur qui participe du déplacement du châssis de la charmille, Jeanne Vitez
dans l’un de ces multiples rôles.
La
transition entre les scènes, Pélage et Balthazar à peine sortis qu’entre Camille
d’un pas vif.
L’examen
de la didascalie de la scène 3 aurait pu être exploité pour nuancer le respect
par Vitez de la théâtralité voulue par Claudel : pas de reflets de lumière
au sol, d’ombre de feuillage …
7/8
2) À la lecture du Soulier
de Satin, on peut voir de nombreuses thématiques se dégager du texte. D’une
part la dualité, celle des couples Prouhèze/Rodrigue et Musique/Roi de Naples
mais aussi celles internes aux personnages comme le tiraillement entre mariage
et amour pour Prouhèze ou entre devoir politique et désir pour Rodrigue. Plus
concrètement le registre naval, puisque toute la quatrième journée se passe sur
la mer ainsi que de nombreuses scènes dans les trois premières. Mais aussi
l’opposition et la complémentarité entre le divin céleste et le mortel
terrestre que l’auteur amène en faisant discourir de multiples personnages au
caractère supérieurs comme la lune ainsi que de multiples saints. L’objectif
serait donc de réunir ces trois caractères dans une mise en scène dépouillée
faite avec peu de moyen comme le souhaitait l’auteur. (Insiste
d’abord sur la multiplication des lieux qui rend impossible une scénographie
réaliste, illusionniste mais qui montre tout le pouvoir imaginatif que Claudel
accorde au théâtre.Montre qu’un scénographe bâtit son décor à partir d’une
analyse dramaturgique de l’espace. Les spectateurs doivent pouvoir identifier
où ils sont, avant d’aborder le fait que la question de l’espace peut se
traiter de façon symbolique et pas illusionniste.)
Le dossier accompagnant
l’épreuve est composé de 4 images de scénographies passées et de 3 textes à
propos de la mise en scène du Soulier de satin.
La première photo de décor
montre l’ouverture de la pièce dans la mise en scène d’Antoine Vitez, celle
dont nous avons étudié un extrait plus haut, mais cette fois ci présentée à la
cour des papes au Festival d’Avignon. On y voit l’annoncier et un personnage
l’accompagnant ajouté par Vitez surplombés par deux proues de bateaux. Le
plateau est composé d’une plateforme de bois simple posée sur un sol uniforme
bleu. Au lointain on peut voir des représentations de bateaux miniatures et des
décors, notamment des châteaux, qui semblent peints sur des toiles. On voit
donc dès le début la dualité exprimée dans le nombre de personnages et la
symétrie entre les proues, le côté maritime avec la surface bleue qui figure
une mer sur laquelle toute la pièce flotte et évidemment les gigantesques
éléments de bateau qui occupe tout l’espace (bien qu’ils soient reculés plus
tard). Le tout dans le respect d’une certaine simplicité toute claudélienne. (Soit)
La deuxième image est une
photo de la scénographie d’Olivier Py. On peut y voir d’imposantes structures
faites de tôles dorées (qui pourraient symboliser la prospérité espagnole du
siècle « d’or »). Celles à cour et à jardin semblent n’être qu’une seule couche
de matériau traçant la silhouette de bâtisses médiévales. Elles sont découpées
afin de laisser voir au travers tout en figurant des fenêtres et/ou des
subtilités architecturales. Au centre, la structure est tout aussi dorée mais
plus en volume et moins figurative. Elle est cubique et le dessous est percé de
différentes ouvertures rectangulaires d’où des acteurs pourraient sortir.
L’espace au dessus de la structure est très éclairé par de nombreux projecteurs
qui attirent l’attention vers le plafond illuminé, qui nous rappelle la lumière
divine dont il est tant question dans la pièce.
La troisième image est issue
de l’adaptation de la pièce à l’opéra par le metteur en scène Stanislas Nordey
et son scénographe attitré Emmanuel Clolus. On y voit l’actrice interprétant
Prouhèze devant une gigantesque image peinte sur toile représentant une idole
de la vierge dans un style proche des peintures de la Renaissance. Bien que
nous ne puissions pas voir à cette photo si le décor est fixe sur toute la
pièce, cela nous rappelle que la peinture de toiles est une possibilité évoquée
par l’auteur dans sa note introductive. De plus le choix des différentes peintures,
si celle ci sont amenées à changer peuvent, en plus d’appuyer la connotation
temporelle du siècle d’or, souligner les différentes thématiques importantes
que nous avons évoquées plus haut.
La dernière image n’est pas
une photo mais un croquis de Lucien Couteaud durant la conception de sa
scénographie pour le metteur en scène Jean-Louis Barrault. Sur ce croquis
figure une poupe de bateau, potentiellement une caravelle, bateau célèbre des
conquistadors espagnols. Sur cette poupe se trouve une imposante dunette
arrière surplombée de torches. Les ouvertures et les murs de cette structure
permettent aux comédiens d’y jouer comme si il s’agissait d’un château ou d’un
quelconque bâtisse. Ainsi, les deux lieux les plus fréquentés par les
personnages sont représentés sur scène en un seul décor. À l’avant de cette
structure se tient une croix, et le haut de la mature se termine au-delà de la
vue du spectateur, comme si elle s’élevait jusqu’aux cieux. Ces deux détails
ont comme vertu de signifier le caractère divin, céleste et catholique de la
pièce.
Le premier texte joint au
dossier est l’introduction de la pièce dans laquelle Claudel explicite la
théâtralité qu’il a conçue pour son œuvre, comme décrypté plus haut.
Le deuxième est un extrait
de la préface de l’édition Folio de la pièce par Michel Autrand. Dans ce texte,
il met en avant la multiplicité des lieux dans la pièce. C’est en effet le
principal problème lorsqu’il s’agit de construire une scénographie pour la
pièce que de concevoir un décor suffisamment polymorphe pour pouvoir figurer à
la fois la mer sous la pleine lune, un rempart au Maghreb, un palais au Panama
et une colline dans une sierra espagnole. C’est pourquoi à mon sens la solution
est de faire (apogée de la vision claudélienne) un plateau le plus dépouillé et
neutre possible, puisque chaque élément trop fortement évocateur d’un lieu en
particulier jurerait au moment d’une autre scène. Par exemple, quel intérêt aux
grandes structures lorsque la didascalie ouvrant la scène V de la deuxième journée
stipule « la campagne romaine » ?
Le dernier document de ce
dossier est la retranscription d’une interview INA du scénographe associé
d’Antoine Vitez, Yannis Kokkos. Il explique que dans les discussions qu’il a eues
avec Vitez, la question du lieu a toujours été source de désaccord. Ce dernier
voulait toujours (même pour les autres pièces que Le soulier de satin)
jouer dans la salle du conservatoire de Paris et
que le scénographe a toujours répondu de manière évasive pour finalement
prendre une toute autre direction. La formule clef de ce texte est la solution
qu’Antoine Vitez applique selon l’interviewé à toutes ses productions : «
toujours imagine le contraire de ce qui est évident ». Dans le cas du Soulier,
ce qui serait évident serait de mettre en place une scénographie à la hauteur
de la monumentalité du texte, de l’époque et du registre. Pourtant si l’on
applique la maxime du metteur en scène, on en arrive à une scénographie simple
et dépouillée totalement en harmonie avec la volonté de l’auteur, preuve que la
démarche est bonne.
Très
bonne présentation des documents.
C’est donc dans le but de
lier les trois notions énumérées (le symétrique, la mer et le divin) tout en
restant dans une sobriété symboliste comme le souhaitait Claudel (contrairement
à la scénographie de Py dont la monumentalité n’a pour
moi rien du théâtre de l’improvisé et du minimalisme
souhaité par l’auteur) que je concevrai un décor uniquement fait de cordages.
Ces derniers rappellent le côté marin en formant un filet à mailles carrées
comme on peut en voir montant au mat sur les représentations des Caravelles. À
égale distance de la cour et du jardin, un surplus de cordes sera enroulé par
dessus le filet de verticalement sur 7 mailles carrées et horizontalement sur 5
afin de former une croix qui nous amène au côté spirituel. Pour ce qui est de
la dualité, il sera nécessaire de pouvoir jouer des deux côtés du filet et y
grimper pour pouvoir avoir un jeu d’opposition haut/bas et devant/derrière (ce
qui résout d’ailleurs par avance le problème potentiel de la scène de la
charmille). Des accessoires pourront y être attachés par les acteurs eux-mêmes
au besoin des scène pour figurer les différents lieu de manière plus précise
(les idoles peintes par le japonais dans la journée quatre, des tapis en guise
de tapisserie pour le palais du roi d’Espagne…). Lorsque le décor doit
symboliser un lieu plus vide ou naturel, on enlèvera tout surplus pour
n’utiliser que le filet :Rodrigue et le chinois sur la colline pourraient se
placer en observation accrochés tels des guetteurs au haut du filet dans la
scène de la première journée et Sept épées et la bouchère pourraient se
débattre emmêlées dans le filer et tentant de la parcourir de part en part
comme si elles nageait à la verticale alors que les autres acteurs hors-champs
agitent doucement le filet afin de représenter la houle de la mer nocturne).
Ici
la matrice marron représente (de manière rectiligne et schématique) le
quadrillage formé par le filet, et les cases marrons les mailles qui seraient
occultées par le passage à de multiple reprises d’une autre corde enroulée
dedans.
Ta proposition est intéressante et
originale même si j’ai un peu de mal à comprendre comment tu la réaliserais
concrètement et vrai. Mais je manque cruellement de sens pratique sans doute.
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