Phèdre :
comparaison de mises en scènes
Phèdre
est une tragédie classique écrite par Racine en 1677. Mais Racine s’est inspiré
de deux dramaturges : Euripide, dramaturge grec qui a écrit Hyppolite,
ou Hyppolite porte-couronne, datant de 428 avant JC ; et Sénèque,
dramaturge romain ayant écrit Phèdre. Cette pièce est une tragédie se
composant de cinq actes, se nommant d’abord Phèdre et Hyppolite. Cette
pièce raconte l’amour tragique de Phèdre pour son beau-fils Hyppolite. Phèdre
faisant partie de la famille des Atrides, elle est soumise aux passions
interdites de la déesse Vénus. Œuvre culte du répertoire théâtral, elle a
traversé les siècles et a été mises en scène d’innombrables fois. Dans cet
écrit nous allons nous intéresser à deux d’entre-elles, celle de Patrice
Chéreau datant de 2003, et celle de Matthieu Cruciani datant de 2024.
Commençons par le
fait que les deux metteurs en scène n’ont pas du tout eu le même parti pris. En
effet, Patrice Chéreau a vraiment fait de Phèdre une tragédie. Alors que Matthieu
Cruciani en a plutôt fait un drame. Un drame est une pièce de théâtre de ton
moins élevé que la tragédie, représentant une action violente ou douloureuse,
où le comique peut se mêler au tragique. Une tragédie, quant à elle, a toujours
un caractère de fatalité souvent associé aux divinités, ce qui était moins le
cas dans la mise en scène de Matthieu Cruciani. Certes le texte conservait la
présence des divinités, mais ce qui me faisait penser à du drame était le fait
qu’il y avait des moments où l’on rigolait ( Un peu
fort et familier : où nous étions invités à sourire.), des moments
plus légers qui ne sont habituellement pas présent dans la tragédie.( IL faut les décrire, les nommer.) Ce dernier en
mettant en scène cette pièce devait prendre en compte la problématique de
comment monter Phèdre en 2024, alors qu’il a eu énormément de mises en scènes
déjà faites auparavant. De plus, Matthieu Cruciani doit répondre aux attentes
de son public et le public de la Comédie de Colmar est assez hétérogène, il
fallait donc que la pièce n’éloigne pas les plus jeunes mais garde aussi les
plus âgés. C’est peut-être pour cela que cette mise en scène s’apparentait plus
à un drame qu’à une tragédie, qui s’éloigne plus de notre société actuelle.
Abordons
maintenant le sujet de la scénographie. Je pense qu’il est important de
signifier que le dispositif scénique n’était pas le même dans les deux mises en
scène. En effet, la mise en scène de Patrice Chéreau était en bi-frontal, ce qui crée une
grande proximité des acteurs avec le public alors que celle de Matthieu
Cruciani était en frontal. La scénographie de la mise en scène de Chéreau était
plus sobre que celle de Matthieu Cruciani.
Du fait que la mise en scène soit en bi-frontal, je ne pourrais pas
utiliser le vocabulaire « cour » et « jardin ». Il y avait
donc à une des extrémités de la scène, une reconstitution d’un temple, plus
précisément celui de Petra en Jordanie. Cet édifice a un accès à la scène avec
un petit pont, d’une architecture plus moderne. C’est le scénographe Richard
Peduzzi, collaborateur habituel de Chéreau, qui en est à l’origine. Le reste du plateau est nu, hormis quelques
chaises très modernes. Lors de la dernière scène, il y a juste un monte-charge
qui ramène le corps mort d’Hyppolite au plateau, monte-charge qui figurait dans
l’usine qu’était les Ateliers Berthier transformés en théâtre. C’est un décor
qui mélange une modernité froide, le béton du sol étant très présent et une
architecture antique, presque archaïque, avec
cette reproduction de la porte de Petra par Richard Peduzzi, le scénographe de
Chéreau et par où Phèdre fait ses entrées, qui soulignent l’influence de la
tragédie grecque sur le projet de Chéreau. La scénographie de la mise en scène
de Matthieu Cruciani est quant à elle bien plus fournie. En effet, tout
d’abord, le plateau était séparé en plusieurs parties par des rideaux, qui
s’ouvraient ou
se fermaient durant la pièce, cela créait du dévoilement progressif de
l’espace, ce qui est très intéressant. Un premier rideau vert/bleu
délimitait l’avant-scène du reste du plateau. Les murs étaient en bois et pas
totalement peints, cela pouvait symboliser la vacance du pouvoir, l’instabilité
politique ; en effet au début de la pièce, Thésée
qui est à la tête du pouvoir est présumé mort, il se joue ainsi une quête du
pouvoir pour plusieurs personnage : Hyppolite fils de Thésée mais d’un
premier mariage avec une amazone, Phèdre qui est la femme de Thésée, le fils de
Phèdre et de Thésée, ou Aricie dont la famille a été tuée par Thésée. Ainsi, la
stabilité du royaume est perturbée, et l’arrivée de Thésée ne remet pas les
choses en place, il n’est pas accueilli comme le devrait être un roi. A l’avant-scène
il y avait à cour un petit lit avec des vêtements dessus. Il pourrait
symboliser un lit dans une chambre étudiante. Au-dessus de ce lit, il y avait
une cible, qui symbolisait le fait qu’Hyppolite est sous la protection de
Diane, déesse chasseresse. A jardin, il y avait une ouverture qui pouvait sûrement
mener aux coulisses, mais qui symbolisait le fait que le palais s’étendait
au-delà des limites du plateau. Cette partie pouvait symboliser une salle d’eau
ou une piscine puisque Hyppolite s’y rendait avec une serviette, et des
accessoires de nage. A côté de cette ouverture il y avait une chaise
orange, d’un style qui évoque les années 1980. Pour finir, sur l’avant-scène, il
y avait à cour et à jardin sur le mur, une lampe, qui évoquait également les
années 1970, 1980. Il y avait également à jardin, un tabouret avec un bouquet
de fleur dessus. Derrière le premier rideau il y avait une grande partie du
plateau ; cet espace était dévoilé lors de la
première apparition de Phèdre, par Oenone qui ouvrait les rideaux. Au
centre, il y avait une sorte de praticable blanc à la fois table basse et scène
dans la scène avec un néon posé dessus dans une sorte de tuyau qui ne sera
allumé qu’au dernier acte. Ce néon pouvait faire penser avant qu’il ne s’allume
à un câble comme si le palais était en chantier, pour symboliser encore une
fois ce monde en chantier, cette instabilité politique. Sur le praticable il y
avait vers jardin une table avec une bouteille d’alcool et des verres dessus,
et plus vers cour, une chaise et une bassine d’eau. De plus à jardin, sur le
mur, il y avait un trophée de chasse, qui
rappelait le Minotaure vaincu par Thésée. Tout cela était recouvert de draps
gris, un peu comme les couvertures de déménagement, avant l’arrivée de Thésée,
pour encore une fois symboliser cette vacance du pouvoir, et le fait qu’il
reprenne le pouvoir et réaffirme sa puissance lorsqu’il revient. De plus à
jardin, il y avait un banc, mis contre le mur, et au-dessus un miroir, qui
était également caché par un drap au départ. Ce miroir était surtout utilisé
par Phèdre, c’est par ce moyen qu’elle se voit vraiment telle qu’elle est et
qu’elle parle à Vénus. Au départ j’avais interprété ce miroir comme une
fenêtre où Phèdre pouvait observer à la dérobée Hippolyte dans la forêt. A cour,
il y avait une petite ouverture qui a servi à un seul moment du spectacle : lorsque
Thésée revient, un monte-charge lui apporte un saladier avec des pommes, il en
mange une. Nous avons appris qu’au départ, Mathieu Cruciani avait la volonté de
faire venir tout un festin italien, pour rappeler encore une fois cette
ambiance méditerranéenne ; mais cela n’a pas été possible. Derrière cette partie, il y avait de nouveau
un rideau, mais cette fois transparent et en plastique, il me faisait penser
aux plastiques qu’il y a parfois sur les chantiers ; encore une fois je
pense que ce choix a été fait pour symboliser la vacance du pouvoir. Ce rideau
est arraché par Thésée dans sa colère et sur le fond de scène au lointain, il y
avait collé ou peint une représentation de la mer Egée, cela permettait de
placer le plateau dans un décor, une ambiance : celle de la Grèce antique,
du moins d’un pays méditerranéen. La scénographie de Mathieu Cruciani reprenait
plusieurs éléments qui pouvaient faire penser à des mises en scènes antérieures
de Phèdre. Par exemple, le monte-charge pouvait faire penser à la mise en scène
de Chéreau. Les décors témoignaient de l’esthétique cinématographique appréciée
par Mathieu Cruciani.
Nous allons
maintenant aborder l’éclairage. Dans les deux mises en scènes elles avaient une
importance primordiale. Dans la mise en scène de Patrice Chéreau, le principal
éclairage venait du fait que les comédiens étaient chacun éclairés par des
poursuites. Le fait d’utiliser des poursuites permettait de créer une certaine
distance, ou à l’inverse, proximité entre les personnages, et cela permettait
également de créer du rythme lors de certaines transitions ; par exemple
lorsqu’une poursuite bougeait rapidement pour annoncer l’arrivée d’un tiers
personnage, cela créer du rythme et permettait de dirigeait le regard du spectateur. Les
personnages semblaient aussi comme happés, fixés dans la lumière, piégés. Pour
la mise en scène de Matthieu Cruciani, les différents rideaux permettaient de
faire des effets d’éclairage, avec des parties ombragées, des parties plus
lumineuses. Les projecteurs avaient ainsi une fonction délimitatrice de
l’espace. De plus, à certains moments les projecteurs changeaient des nuances
de couleurs, cela permettait notamment de donnait des indications de
temps : par exemple au moment du discours de Théramène, les lumières ont
changé de teintes indiquant l’aube. La lumière magnifiait les images comme le
prouvent les nombreuses photos de plateau qui témoignent d’une lumière solaire.
Dans les deux
mises en scènes, les costumes étaient très différents. Dans la mise en scène de
Patrice Chéreau, les costumes étaient très codifiés. En effet, les hommes
portes de longs manteaux, et sont souvent torse nu (Hyppolite et Thésée), seul
Théramène porte une chemise sous le manteau, les femmes portent plutôt des
robes assez sobres avec des vestes de costumes par-dessus. Mais il y a
également un code couleur qui symbolise les différentes mentalités des
personnages. Le bleu représente la sagesse, comme avec les personnages
d’Hyppolite et de Théramène, le rouge la royauté et la puissance comme avec
Thésée, et le noir et le bleu très foncé symbolisent le deuil, le refus ou l’asexualité,
comme avec Phèdre. Il est important de signifier que dans cette mise en scène
il y avait un accessoire extrêmement important : l’épée ; elle
suivait les personnages tout au long de la pièce et était primordiale pour la continuité de
l’histoire, car elle pouvait établir une supériorité, elle est également
symbole du mensonge de Phèdre. En effet, Eonone raconte à Thésée que Hyppolite
a essayé d’abuser de Phèdre, pour le lui prouver, elle lui montre l’épée
qu’Hyppolite avait laissé à Phèdre lorsque cette dernière lui avait avoué son
amour.( N’oublie pas la dimension phallique de
cet objet.) Dans la mise en scène de Mathieu Cruciani, les costumes
témoignaient d’une époque plus moderne. Hyppolite portait un jeans, un t-shirt
blanc, une chemise rose et des bottes s’apparentant à des santiags, ce style
vestimentaire témoignait de sa jeunesse. Il a changé quelque fois de tenues durant
la pièce, par exemple pour porter un costume deux pièces. Théramène quant à
lui, portait un pantalon beige, une chemise blanche et une cravate. Le
personnage de Thésée portait également un costume deux pièces noirs.( Evoque aussi le fait qu’il se déshabille.) Ces deux
personnages avaient des habits plus « sérieux », ce qui peut faire
référence à leur supposée sagesse. Ces vêtements donnaient parfois aux hommes des
allures de business men ou de gangsters italiens comme dans les films sur la
mafia. Phèdre quant à elle portait des robes et des chaussures à talons,
elle en changeait plusieurs fois pendant la pièce ; je pense que la plus marquante
est sa robe dorée à la longue traine,
cela rappelle son statut royal au début du deuxième acte et réactive la puissance de son
nom qui signifie la brillante. Oenone portait également des chaussures à
petits talons et plusieurs robes, mais souvent assez sombre ce qui montrait
bien son rang social inférieur, à certains moments elle portait également des
pantalons et des débardeurs. Aricie, portait un chemisier blanc, avec un
pantalon brun, et un foulard en guise de ceinture. Je trouve que ce foulard
peut lui donner un air « rebelle », qui va bien avec les santiags
d’Hyppolite. La comédienne de Panope et d’Ismène, changeait de tenues entre les
deux personnages, mais je me souviens qu’elle portait à un moment un chemiser
avec un pantalon blanc. Dans cette mise en scène, il y avait plus d’accessoires
utilisés durant la pièce, comme des sacs, dont un sac de voyage pour Hyppolite,
des bouquets de fleurs, etc. Mais il y avait également l’utilisation d’une
épée, mais elle avait moins la prééminence que dans la mise en scène de Chéreau, ce sont
les flèches fichées dans la cible de la chambre d’Hippolyte qui vont la
remplacer, notamment quand Phèdre s’en sert pour
feindre de la ficher dans son cœur.
Dans les deux
mises en scène, des fonds sonores étaient utilisés. Dans celle de Patrice
Chéreau, ce n’était pas de la musique à proprement parlé, mais plutôt des sons
inquiétants annonçant l’arrivée d’un personnage, ou qui accompagnaient une
action dramatique. Il y avait tout de même de la musique à certains moments,
comme lors de la dernière scène, après la mort de Phèdre, de la flûte. Dans la
mise en scène de Mathieu Cruciani, il y avait bien plus de musique qui
accompagnait les actions de la pièce, elle n’était pas là tout le temps
cependant. Les musiques ont été composées par Carla Pallone, elles
s’accordaient donc très bien avec les actions, et je trouve que plus la pièce
avançait, plus la musique était sombre, moins fluette, au vu de la situation
dramatique des personnages. Elle s’apparente à une sorte de bande son comme au cinéma.
Pour finir il est
également important de parler du jeu des acteurs. En effet, les deux metteurs
en scène n’avaient
pas le même parti-pris concernant ce point. Patrice Chéreau a vraiment monté
une tragédie, c’est-à-dire que les comédiens jouaient en exprimant toutes leurs
passions par un jeu corporel très intense car leurs personnages étaient soumis
à une fatalité, ils avaient également tous un rapport aux dieux très prononcé, c’étaient
presque les personnages principaux de la pièce. Par exemple, on voit dès le
départ dans cette mise en scène, que Phèdre va mourir, on ne sait juste pas
quand, Dominique Blanc entre courbée de douleur marquant sa souffrance par une
gestuelle très intense. Dans la mise en scène de Mathieu Cruciani, le jeu n’était pas le même. Comme je l’ai dit
précédemment, cette mise en scène se rapprochait plus du drame que de la
tragédie, ainsi les personnages par l’intermédiaire des comédiens étaient moins
tournés vers les dieux, il y avait plus de distance avec cette facette
de la pièce. En outre, leur jeu était peut-être moins « grandiloquent ».
On peut avoir l’impression que les émotions étaient jouées plus violement dans
la mise en scène de Chéreau, mais il faut aussi prendre en compte que nous
avons analysé une captation, qui ne montre que certains détails et permet les gros
plans alors que nous étions placés assez haut à la Comédie de Colmar
lors de la représentation de la mise en scène de Mathieu. De plus, certains
personnages étaient incarnés très différemment. Nous pouvons tout d’abord
prendre l’exemple du personnage de Thésée. Dans la mise en scène de Patrice
Chéreau, Thésée, incarné par Pascal Greggory, est accueilli comme un roi
lorsqu’il revient au palais. Les autres personnages s’inclinent devant lui, et
sa veste longue rouge est un symbole de sa puissance. Ce n’est pas le cas dans
la mise en scène de Mathieu Cruciani. En effet, Thésée, incarné par Thomas
Gonzales, est montré comme revenant des Enfers : il est blessé et n’a pas
le sens des réalités, comme s’il avait pris de la drogue. En outre, il n’est
pas acclamé comme le devrait être un roi, il revient dans un palais rongé par
l’instabilité politique. Il faut également rajouter que dans la mise en
scène de Patrice Chéreau, Eric Ruff et Pascal Greggory ont un air de
ressemblance, ce qui n’est pas le cas de Maurin Ollès et de Thomas Gonzales qui
ne se ressemblent pas et qui n’ont pas une telle différence d’âge, le jeu de la
relation père et fils est donc changé, plus distant, le rejet du fils par le père est accentué lors de leurs
retrouvailles . Il y a aussi une différence dans les mises en scènes dans le
duo Oenone et Phèdre. Dans la mise en scène de Patrice Chéreau, Oenone, jouée
par Christiane Cohendy, reprend vraiment le rôle de la nourrice, indiqué dansl a
pièce de Racine. Dans la mise en scène de Mathieu, Oenone, jouée par Lina Alsayed,
est plus jeune que Phèdre, jouée par Hélène Viviès, ce qui rend leur relation
plus amicale, comme si Oenone était son amie d’enfance, sa conseillère. Mais il
faut tout de même rajouter que les deux metteurs en scène ont lutté pour casser
la diction trop classique de l’alexandrin chez leurs comédiens. Ils ne
voulaient pas entendre la musicalité mais la syntaxe des vers.
Ainsi, les deux
mises en scènes divergent sur beaucoup points, comme nous avons pu le
constater. Mais, il est important de rappeler que la mise en scène de Patrice
Chéreau a été faite en 2003, il n’y avait pas les mêmes problématiques pour
mettre en scène cette pièce emblématique. La mise en scène de Mathieu Cruciani
est une création de 2023-2024. Le metteur en scène devait donc réussir à créer
quelque chose de nouveau, tout en respectant la pièce de Racine, et en ne
tombant pas dans une copie conforme des
chefs d’œuvres fait auparavant, comme la mise de Chéreau.
( manque peut-être ton appréciation personnelle .)
Globalement très riche, très intéressant. Bravo .